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grand’mère s’étend la verte, et magnifique forêt où le soleil perce au travers du feuillage. À ce moment-là, grand’mère est toute jeune, elle est une ravissante jeune fille aux cheveux blonds, aux joues fraîches, belle et brillante; nulle fleur n’est plus vive. A son côté, est assis un jeune homme, grand et bien fait, qui lui présente une rose, et elle sourit... Grand’mère ne sourit plus ainsi... Si fait, elle sourit encore de même. — Il est parti. Mille visions et mille pensées ont pris sa place; le beau jeune homme est parti; la rose est étendue dans le livre de cantiques; grand’mère retombe dans son fauteuil; elle regarde la rose flétrie; grand’mère est morte!... — Elle fut posée dans le cercueil noir, entourée d’un linge blanc; elle était si belle! Ses yeux étaient fermés, mais chacune de ses rides avait disparu; elle était étendue avec un sourire sur les lèvres, avec une chevelure argentée et vénérable. On n’avait pas peur de venir voir la morte : c’était encore grand’mère, si bonne et si chérie. Le livre de cantiques fut mis dans le coffre, sous sa tête; elle l’avait désiré ainsi, et la rose était dans le livre, et puis on ensevelit grand’mère. — Au-dessus de la fosse, tout près du mur de l’église, on planta un rosier, dont les roses s’inclinaient au vent et disaient : « Il est doux de se baigner dans la rosée et dans les rayons de la lune. Si nous sommes les plus belles, viendra une main chérie qui nous cueillera pour la plus jolie jeune fille. » — Et le rossignol entendit ce que disaient les roses, et il chanta en l’honneur de la rose que la jeune fille avait gardée si fidèlement, de la rose que la jeune fille avait mise dans son livre de cantiques... Il est si doux de vivre dans le souvenir! — Et pendant que le rossignol chantait, l’orgue de l’église entonna les beaux psaumes qui étaient dans le livre placé sous la tête de la morte, et la lune brillait de tout son éclat... »


Régénération de la poésie danoise par un double appel à l’esprit national et aux instincts spiritualistes de la race Scandinave, telle avait été l’œuvre d’Œhlenschlæger. Développer au théâtre et dans le roman les principes posés par lui, telle a été la tâche de la génération qui a grandi à ses côtés, telle est encore celle des écrivains qui ont succédé à ses premiers disciples, et qui représentent dans sa phase la plus récente le mouvement de la littérature danoise. Le culte de la patrie est surtout ce qui les enchante, et ce morceau, composé par M. Grundtvig, restera long-temps comme la plus fidèle expression de l’enthousiasme ardent, mais contenu, qui inspire toute cette poésie nationale :


LE CHANT DE LA PATRIE.

« Certes, il y a sur la terre de bien plus hautes montagnes que nos pauvres collines danoises; mais nous nous contestons des plaines et des coteaux verdoyans du Nord : nous ne sommes pas faits pour l’essor et le bruit; ce qui nous convient le mieux, c’est de rester à terre.

« Le voyageur, nous le croyons, trouvera loin d’ici de bien plus beaux paysages; mais au pied des grands hêtres est la patrie danoise sur le rivage que pare le myosotis, et nous aimons, entre le berceau et la tombe, le champ fleuri qu’entoure la mer ondoyante.