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lecture des antiques sagas, dont les comparaisons et le langage poétiques reviennent à chaque instant dans ses poésies et dans ses discours. Son patriotisme étant même devenu aussi exclusif que ses convictions religieuses, M. Grundtvig n’a que mépris et haine pour tout ce qui n’est pas Scandinave. Il est par-dessus tout l’ennemi acharné du teutonisme, et lorsque, pendant ces dernières années, les universités de Christiania, de Copenhague, de Lund et d’Upsal se réunissaient pour boire aux anciens dieux et hâter de leurs vœux la réunion peut-être chimérique des trois états du Nord en une seule monarchie, M. Grundtvig avait, pour cette jeunesse un peu bruyante, un cœur qui battait à l’unisson et des poésies toujours prêtes; on l’a surnommé, non sans raison, le grand-prêtre du scandinavisme. Par ce côté du moins, M. Grundtvig, bien qu’il se fût posé comme l’adversaire d’Œhlenschlæger, était obligé de faire avec lui cause commune et d’applaudir à ses triomphes, et même ses scrupules pieux devaient être fort ébranlés en présence de l’inspiration plus religieuse qui allait animer désormais la littérature et l’esprit public. Les applaudissemens qui accueillirent de toutes parts les dernières œuvres du grand poète ne laissèrent plus d’ailleurs entendre aucune des voix qui s’étaient élevées d’abord contre lui.


III.

La victoire de la nouvelle école imprima à l’esprit danois, désormais en possession de lui-même et fortifié par les épreuves, un essor tout juvénile. La carrière s’ouvrit pour tous les genres; mais le plus libre et le plus spontané de tous, la poésie lyrique, après avoir produit des chefs-d’œuvre sous la plume d’Œhlenschlæger, dut inspirer au milieu du premier élan le plus grand nombre de ses élèves. Les plus brillans d’entre ces poètes lyriques furent M. Ingemann et M. Winther. Le premier, contemporain d’Œhlenschlæger, se plaça tout à côté du maître par une élévation religieuse et une imagination brillante. Les meilleurs ouvrages du second datent des vingt dernières années et servent à montrer quelle marche a suivie en Danemark le développement d’un genre dont l’étude est si intéressante pour l’histoire de l’esprit humain. Le lyrisme de M. Ingemann est tempéré dans les ouvrages de M. Winther par un mélange de quelques qualités épiques, mélange heureux quand il est fait par un esprit d’une aussi rare mesure, plus épris des peintures populaires et naïves que des grandes scènes romantiques, et dont le langage, dans sa pureté discrète, ne manque ni de tendresse ni de passion. On trouvera dans le principal recueil poétique publié par M. Winther en 1828, sous le titre de Gravures sur bois, ces teintes adoucies qui le distinguent de ses prédécesseurs et qu’il a puisées sans aucun doute dans les habitudes et les tendances du génie danois.