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les écrivains danois il en est beaucoup qui font preuve d’un véritable talent d’exposition. On conçoit que chez les compatriotes d’Œhlenschlæger la poésie lyrique soit exempte du vague et de l’obscurité des poèmes allemands. Je n’affirme pas qu’ils possèdent la même originalité dans les études philosophiques : c’est ici sans doute que l’influence de l’Allemagne leur impose l’adoption un peu servile de ses différens systèmes et de ses abstractions lointaines. Pourtant l’esprit danois ne manque pas de profondeur dans l’étude des sciences, et je ne parle pas seulement du talent d’analyse et d’observation, qu’il possède au plus haut degré, mais aussi de cette conception hardie qui s’élève jusqu’à une synthèse féconde. Les différences religieuses qui séparent le Danemark des pays qui l’entourent ne sont pas moins saillantes. On n’a pas à Copenhague, comme dans les autres pays protestans, ce respect outré du dimanche, qui en fait, non pas un jour de repos, mais un jour de tristesse et de captivité, et l’on y trouverait une indifférence un peu railleuse et comme une pointe de scepticisme plutôt que l’intolérance du luthéranisme suédois ou du piétisme allemand.

L’influence d’Œhlenschlæger ne resta pas circonscrite dans les limites étroites de son pays natal. Les trois états Scandinaves, en entendant prononcer les noms de leurs anciens dieux, Woden, Thor et Frey. sortirent de la langueur où ils étaient plongés, et le double mouvement qui, sous le nom de phosphorisme, agita la Suède, et, sous celui de scandinavisme, tout le Nord, fut la réponse au patriotique appel du poète danois. Il faut donc placer Œhlenschlæger au premier rang, non pas seulement des poètes nombreux et remarquables que le Danemark a produits depuis 1800, mais à la tête des trois littératures du Nord qui procèdent de son exemple comme de son inspiration.

Toutefois le triomphe de la nouvelle école ne s’établit pas sans avoir eu à combattre une double opposition,-, religieuse et littéraire. — Les théories d’Œhlenschlæger, qui s’affranchissait des limites imposées jusqu’alors aux esprits et les dépassait, lui avaient créé naturellement de nombreux ennemis. Il fut accusé des fautes que commettaient ses élèves, vit une polémique ardente s’élever contre lui, dut se retirer des clubs littéraires dont il faisait partie, et vivre désormais dans un cercle étroit et intime, composé de Rahbek, de Steffens et des deux frères Œrsted, dont l’un, ministre d’état, était son beau-frère, et l’autre, savant célèbre, son ami. Le plus acharné de ses adversaires fut Baggesen, esprit fin et délié, mais cœur sec et tourné vers la satire, et qui représentait dans cette querelle littéraire, avec son mépris de la mythologie Scandinave et son scepticisme affecté, le génie encore vivant du XVIIIe siècle, c’est-à-dire un mélange des idées de l’Encyclopédie, de la philosophie anglaise et du matérialisme qui régissait l’Allemagne avant sa belle période littéraire. L’autre adversaire