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hospitalité qu’offrait alors aux écrivains et aux savans de l’Europe le ministre de Frédéric V, André Bernstorf; il vécut tranquille à Copenhague, entouré d’amis illustres, comme le prédicateur Cramer et le vieux Schlegel, historien du Danemark. C’est dans cette retraite qu’il écrivit plusieurs chants de la Messiade. On comprendra sans peine que cette poésie, d’une élévation toute nouvelle, ait été pour le Danemark aussi bien que pour l’Allemagne un sujet d’admiration. Ce qu’il y avait de mysticisme exalté dans le poème de Klopstock ne répugnait pas au génie des nations scandinaves, et la belle imagination de l’écrivain allemand charma beaucoup d’esprits enthousiastes. Ewald fut à Copenhague son principal disciple.

Pauvre à la fois et prodigue, ardent et rêveur, Ewald s’enflamme un jour à la lecture de Robinson, et part, sans argent, pour faire son tour du monde; il s’enrôle dans l’armée prussienne, déserte, s’engage au service autrichien afin de devenir général, et reste simple soldat. Racheté par sa famille à grand’peine, il s’éprend d’une jeune fille qui épouse un rival, et, las d’une vie turbulente qui ne lui apporte que déceptions, il se console avec la poésie. — Cependant, de toutes les émotions qui peuvent fortifier le cœur et l’esprit de l’homme en l’éprouvant, aucune n’est perdue pour celui qui est véritablement né poète. Ewald dut sans aucun doute aux nombreuses vicissitudes de sa vie l’ardeur avec laquelle il s’élança sur les traces de Klopstock et l’essor tout lyrique de sa muse. Il imita le poète allemand dans ses élégies et dans ses odes, dont quelques-unes abondent en traits sublimes et sont restées classiques. Il voulut l’imiter aussi en écrivant son drame religieux d’Adam et Eve; mais la beauté des chœurs et de quelques couplets passionnés ne suffit pas à un ouvrage dramatique, et la verve d’Ewald ne se trouve pas à l’aise dans l’entraînement d’une action qui doit se développer avec une allure toujours égale. Ewald brille encore dans la littérature danoise par le sentiment patriotique qui seconde si bien en lui la veine lyrique. Ses deux pièces intitulées la Mort de Balder et Rolf-Krage, — la seconde écrite malheureusement en prose poétique, c’est-à-dire dans un langage souvent emphatique et faux, qui n’a pu convenir à la scène, mais la première plus originale peut-être que tous ses autres ouvrages, — sont empruntées à ces époques primitives de l’histoire scandinave dont les richesses étaient encore inconnues en Danemark au XVIIIe siècle. Il faut les signaler comme le premier essai d’une littérature toute nationale dont le grand Œhlenschlæger achèvera l’édifice, et en même temps comme une preuve irrécusable de la profonde originalité d’Ewald, qui a su faire servir l’inspiration allemande à l’ébauche d’une poésie nouvelle. Son patriotisme vit tout entier dans ce beau chant qu’il a introduit dans la Mort de Balder en l’honneur du glorieux Christian IV, et