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ses droits. Le Danemark doit attacher d’autant plus de prix à cette conquête des droits et des devoirs de la liberté, qu’il est, par sa position, le boulevard des états scandinaves. Les poètes et les politiques du Nord ont conçu le projet d’une nouvelle union des trois royaumes, et les plus beaux poèmes d’Œhlenschlæger nous le montrent préoccupé d’accomplir cette union dans les esprits et dans les cœurs. Il était utile, avant que la politique voulût tenir compte de ces espérances, que le Danemark eût énergiquement revendiqué ses titres de fils légitime de la Scandinavie, libre de tout vasselage envers l’Allemagne et non moins indépendant par ses institutions que par son épée.


I.

Le Danemark ne possède une littérature proprement dite que depuis un siècle et demi, et cette littérature n’est vraiment originale que depuis l’époque de la révolution française. Il en est de même à peu près pour tous les peuples du nord et de l’est de l’Europe. Jusqu’au XVIIe siècle, ils sont restés en dehors de la vie sociale qui avait animé dès le moyen-âge les nations occidentales. Lorsque l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, la France, l’Allemagne elle-même, avaient déjà mis à profit l’héritage de Rome païenne et du christianisme, soit pour fixer leur gouvernement intérieur, soit pour avancer leur culture intellectuelle et morale, les états slaves et Scandinaves s’épuisaient encore en guerres civiles et en efforts pénibles pour atteindre une organisation régulière et une place dans la sphère politique du continent. Précédés dans la marche générale de la civilisation européenne par les peuples qui s’étaient trouvés plus près de Rome, ce foyer de la lumière, ils ont reçu par ceux-ci, mais lentement et non sans résistance, le dogme et l’esprit nouveaux.

La France, parmi les nations qui se sont modelées sur la double empreinte romaine et chrétienne, est celle en qui s’est le plus vite et le plus profondément accomplie l’alliance d’élémens si divers. Elle a dû sans doute à son génie intelligent et bien réglé la prééminence incontestée de sa littérature et de sa diplomatie au XVIIe siècle, et au XVIIIe l’ascendant redoutable des idées sociales dont elle est devenue le foyer. Si, pendant la première de ces deux époques, elle a été presque la seule initiatrice de l’Europe, — à ce point que sa langue, expression d’un esprit conciliant et sensé, mais franc, net et précis, est devenue alors la langue des affaires et du goût, celle de la diplomatie et des salons, — elle a, pendant la période suivante, affranchi elle-même les peuples de sa propre suzeraineté, en excitant chacun d’eux à un essor