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taureaux fils d’un géant, les attela furieux au joug d’une charrue dont le soc immense déchirait profondément la terre, et les lança ensuite au galop. Entraîné derrière eux dans leur course rapide, le sol qu’ils enlevaient ainsi atteignit bientôt les rivages du sud-ouest, glissa sur les vagues du Skager-Rack, puis du Sund, et s’arrêta au milieu de ce beau détroit qui sépare aujourd’hui le Danemark de la Suède; il y forma la belle île de Seeland. La place restée vide à la surface du continent suédois fut occupée aussitôt par le vaste bassin du lac Mélar.

En se rapprochant du midi, Seeland s’est vu sans doute féconder par des vents plus tièdes et un climat plus doux, car l’aspect des campagnes et des forêts auprès desquelles s’est assise la capitale du Danemark n’a rien de pareil à la vue des côtes orientales de la Suède. Au lieu du sombre pin, le hêtre domine dans les bois de Fredensborg; il emprunte à une température souvent humide une teinte d’émeraude pâle, beauté pittoresque et particulière à cette région. Tandis qu’en Suède le brusque changement des saisons montre une nature puissante, mais sévère, — en Danemark au contraire le printemps, comme chez nous, parfume les vergers, et l’automne diapré les forêts. D’ailleurs la Suède est un immense continent désert, tandis que le Danemark est un archipel riant et peuplé. Le paysan suédois médite au pied des forêts uniformes et au bord des lacs tranquilles; il aime la solitude, sa compagne habituelle. Le Danois est laboureur ou matelot; il emprunte la douceur et la modestie à l’irrésistible influence d’un paysage aimable et des travaux agricoles; en même temps il est vif, il est agile d’esprit comme de corps à cause du voisinage et de la pratique de la mer. Cette vivacité d’esprit peut, il est vrai, dégénérer en légèreté, en indifférence, quelquefois même en scepticisme; les anciens, comme on sait, ne craignaient pas sans raison d’habiter sur les rivages, et ils tenaient la vue de l’Océan pour corruptrice et mauvaise conseillère : quelle plus vivante image en effet de la perfidie et de l’instabilité que la scène changeante des flots, vous attirant sans cesse par l’attrait mystérieux de son immensité, riante et calme aujourd’hui, et qui, demain peut-être, s’entr’ouvrira sous votre navire? Rien de commun non plus entre les deux pays pour l’esprit religieux et pour l’esprit militaire. Loin d’être intolérans, comme l’est encore aujourd’hui la législation suédoise, d’accord en ce point avec les mœurs, les Danois font de la philosophie, et il s’en faut de beaucoup qu’on les puisse accuser de superstition. Une égale ardeur pour la guerre s’est conservée en Suède et en Danemark; mais ces grands fantassins de la Dalécarlie, qui boivent de l’eau et mangent de l’écorce de bouleau, feraient encore aujourd’hui la guerre avec le fanatisme des anciens vikings, tandis que le Danois est simplement un brave et joyeux petit soldat (tappre land-soldat), qui aime bien son pays et son drapeau.