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en divers lieux. Geisa reçut le baptême en 973, et en 974 Pilegrin put écrire avec une heureuse fierté au pape Benoît VII qu’il venait de rendre à Jésus-Christ, par la purification du baptême, cinq mille nobles hongrois des deux sexes ; c’étaient deux mille néophytes de plus que n’en avait fait saint Remy après la bataille de Tolbiac. L’évêque ajoutait : « Païens et chrétiens vivent aujourd’hui en si grande concorde et familiarité, que ces paroles du prophète Isaïe semblent s’accomplir sous mes yeux : Le loup et l’agneau brouteront ensemble au pâturage, le lion et le bœuf mangeront à la même paille. » Mais le vieil et saint évêque anticipait ici sur l’ordre des temps, et ni la furie de la guerre, ni le fanatisme païen n’avaient déserté le cœur de la nation hongroise. Profitant de l’absence de l’empereur, que des affaires graves retenaient en Italie, elle court aux armes, reprend ses dieux, chasse les prêtres chrétiens, rase les églises, et, sans que le roi Geisa veuille ou puisse l’empêcher, déborde comme une mer soulevée au-delà de ses frontières. De l’année 979 à l’année 984, ce ne furent en Autriche et en Bavière que dévastations, incendies et massacres. Les Barbares en voulaient surtout à la religion que la politique leur avait imposée. Le diocèse de l’apôtre Pilegrin, qui était proche, fut le but privilégié de leurs attaques : ils s’y jettent avec rage, tuent les hommes, enlèvent les troupeaux, pillent et démolissent les temples. Pilegrin lui-même eut peine à sauver sa vie, et il ne resta long-temps après lui sur sa terre épiscopale que des décombres et des landes. Nous lisons dans un diplôme de l’empereur Othon III, daté de 985, que le diocèse de Passau, entièrement vide d’habitans, n’avait plus que l’aspect d’une forêt. Pourtant Pilegrin ne se découragea pas, et à sa mort il eut la joie d’entrevoir déjà au-dessus de la tête d’Etienne, fils de Geisa, la couronne des saints unie à celle des rois.

L’apostolat de Pilegrin avait duré vingt ans, de 971 à 991, et l’on peut supposer que ce fut pendant cette longue suite de fatigues et de dangers que l’évêque, cherchant un délassement dans ses études favorites, mit la dernière main à son ouvrage: du moins, certains détails du livre présentent l’analogie la plus frappante avec les faits qui s’accomplissaient alors en Hongrie. Ainsi cette propagande chrétienne organisée autour d’Attila, cette mission donnée à sa femme de l’amener à la vraie foi, cette église en plein exercice à Etzelburg, ce baptême du jeune Ortlieb, qu’est-ce que tout cela, sinon littéralement l’histoire de Geisa et de sa famille? Il n’y a pas jusqu’au fait consigné dans la Complainte des Niebelungs, qu’Attila aurait été chrétien cinq ans, qui ne semble être une allusion aux fréquentes apostasies qui se passaient chez les Hongrois, dont l’histoire nous entretient, mais qui n’effrayaient pas des, missionnaires opiniâtres; Quant aux traits sous lesquels est dessiné ce grand Attila dont le peuple hongrois réclamait la propriété comme une gloire nationale, ils semblent avoir été