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comme pétrifiés. — Laisse là tes visions, répondit Hagen ; un ours blanc vu en songe, c’est une tempête qui doit éclater vers le soleil levant. — J’ai rêvé aussi qu’un aigle voltigeait au-dessus de nous dans la grande salle, et que le battement de ses ailes faisait égoutter sur nos têtes une pluie de sang. Je fixai mon regard sur cet oiseau : il avait la figure d’Attila. — Préparons-nous donc à chasser le buffle, car rêver d’aigle, c’est signe qu’on rencontrera des buffles. Rêve tout ce que tu voudras, ma femme chérie; tes rêves n’importent guère au roi des Huns. — Leur bavardage finit là, dit le poète, car tout bavardage finit.

« La même scène se passait dans le lit de Gunther, où Glomvara, en proie à des visions funestes, cherchait à empêcher son départ : — Gunther, lui disait-elle, j’ai cru voir en rêve un gibet où l’on te menait pendre; les vers sortaient déjà de ton corps, et pourtant je te sentais vivant. Devines-tu ce que cela veut dire?

« Je rêvais aussi qu’on retirait de ton vêtement un poignard ensanglanté (quel rêve à raconter à un homme qu’on aime!); puis je vis une lance qui te perçait de part en part, et un loup hurlait à chaque extrémité. — Loups et chiens vus en rêve, répondait Gunther, c’est le présage d’un cruel massacre.

« — Je rêvais, reprit Glomvara, qu’un fleuve débordé arrivait dans ce palais; il avançait en bouillonnant, et la voix de ses cataractes nous faisait frémir; il entra dans la salle en soulevant les bancs, et vous saisissant, Hagen et toi, dans un tourbillon, il vous brisa contre les murs; assurément cela n’annonce rien de gai.

« Je rêvais aussi que les filles de la mort, les cruelles Nornes, étaient venues ici la nuit dernière, dans leurs plus beaux atours, pour chercher un mari ; elles étaient hideuses à voir ! C’est toi, Gunther, qu’elles avaient choisi, et elles t’invitèrent à les suivre au banquet des trépassés. —, C’est trop me retarder par des discours, s’écria enfin Gunther; ce qui est arrêté est arrêté, nous partirons malgré tous les présages ! »


Les présages n’étaient que trop véridiques, ainsi que la suite le prouva. Lorsque les hommes du Rhin, avec leur cortège de guerriers, arrivèrent à la demeure d’Attila, ils trouvèrent la ville barricadée comme pour un siège, et la porte rendit un bruit de verrous quand Hagen vint la heurter. « On n’entre pas aisément ici, lui dit en ricanant le messager qui les amenait : je vous conseille de retourner chez vous, ou plutôt attendez-moi un peu, afin que j’aille vous tailler une potence. » Les Niebelungs, pour toute réponse, lui fendirent la tête à coups de hache. La porte s’ouvrit et Attila parut : « Soyez les bienvenus parmi nous, leur dit-il, à la condition de me livrer le trésor qui appartient à Sigurd et qui est le douaire de Gudruna. — Tu ne l’auras jamais, répondit Gunther; et si nous devons mourir, vois par celui-ci, qui était un des tiens, que nous ne tomberons pas les premiers. » Et ils lui montrèrent le cadavre de son envoyé. Alors la bataille commença : les Huns saisirent leurs arcs, les Niebelungs leurs