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« Aussitôt, plongeant au fond de la chaudière la blanche paume de sa main, elle saisit et rapporta les verts cailloux. — Voyez maintenant, hommes, voyez que je suis innocente; ma main est sans brûlure, et le chaudron bout à gros bouillons.

« Attila sourit dans son ame quand il vit intacte la main de Gudruna. — Qu’on m’amène maintenant Herkia ; je veux qu’elle subisse aussi l’épreuve du feu, elle qui a médité une si noire vengeance.

« Celui-là n’a vu de sa vie chose misérable qui n’a pas vu comment les mains d’Herkia furent brûlées. On entraîna la jeune fille pour la jeter dans un marais infect, et ainsi Gudruna eut satisfaction de son injure. »


Plusieurs années s’écoulent, et Attila voit avec bonheur grandir sous ses yeux deux fils, Erp et Eitill, qu’il a eus de Gudruna, et sur lesquels il reporte toute sa tendresse; d’un autre côté, sa passion pour l’or s’est réveillée : il veut recouvrer à tout prix l’héritage de Sigurd que lui ont volé les Niebelungs. Le plus complet des poèmes Scandinaves, Atla-Mâl, nous introduit dans un conseil où le roi des Huns et ses principaux chefs délibèrent sur les moyens à employer pour reconquérir ce trésor, leur bien légitime. On décide qu’Attila attirera Gunther et Hagen dans sa ville sous le prétexte d’une fête brillante qu’il veut donner; puis, quand les hommes de l’ouest seront sous sa main, il faudra bien qu’ils rendent le trésor, ou qu’ils déclarent dans quel lieu ils l’ont enfoui. Gudruna, l’oreille au guet, a tout entendu, et, résolue à tout déjouer, elle charge l’envoyé d’Attila d’une lettre pour Gunther et d’un anneau d’or pour Hagen. La lettre, écrite en runes, avertit ses frères de ne point venir; mais l’envoyé d’Attila, qui connaît les runes, falsifie les caractères, et rend la lettre en partie illisible. L’anneau était entrelacé de poils de loup; mais l’envoyé d’Attila ne les a point remarqués, ou n’a pas deviné ce qu’ils signifiaient. A son arrivée au palais des Niebelungs, lorsqu’il a remis la lettre et l’anneau, Glomvara, femme de Gunther, observe le message avec défiance. «Pourquoi, s’écrie-t-elle, Gudruna ma sœur, si habile dans l’art des runes, a-t-elle tracé des caractères que je ne puis lire? » En même temps Costbéra, la femme d’Hagen, disait en examinant l’anneau : « Voici des poils de loup qui(veulent dire : Garde-toi des pièges. » Elles parlaient en vain : de riches armures, présens d’Attila, suspendues au poteau de la salle, à la lueur d’un feu pétillant, éblouissaient les yeux des Niebelungs, et l’image de cette course lointaine, de ces fêtes et de ces combats absorbait toutes leurs pensées.

La nuit qui suit le message et qui précède le départ des princes est remplie de sombres pressentimens. Costbéra, couchée à côté d’Hagen, se réveille en sursaut toute pâle de frayeur.


« — Hagen, lui dit-elle, j’ai rêvé qu’un ours entrait dans cette chambre et grimpait sur notre lit, qu’il secouait violemment avec ses ongles; là, il nous saisit dans sa gueule, et nous ne pouvions nous défendre, car nous étions