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pêle-mêle, jonchant le dessous des tables et le pavé des portiques. Enfin cette fourmilière se secoue; chacun cherche l’hôte du lieu pour lui rendre grâce et le saluer. Attila, soutenant à deux mains sa tête appesantie, descend lentement de son siège et appelle Walter; mais Walter n’est point là. On le cherche sous les portiques, on le cherche dans tous les coins de sa maison; nul ne l’aperçoit, ni dormant ni debout. Ospiru non plus ne voit point venir Hildegonde, toujours si exacte à lui apporter son vêtement : alors elle devine tout. « Festin maudit! s’écrie-t-elle; Walter, l’honneur de la Pannonie, s’est enfui, et il a emmené avec lui Hildegonde, ma chère élève! » Ainsi la reine exprimait sa douleur; mais la colère du roi ne connaît pas de bornes : il déchire sa tunique du haut en bas et reste comme frappé d’éblouissement. « Ses idées, dit le poète, errent çà et là au gré d’un orage intérieur, comme les tourbillons de sable au gré des tempêtes de la mer. » Il ne prononce que des mots sans ordre et sans liaison. Un jour entier il refuse toute nourriture, et, la nuit venue, il ne peut fermer l’œil; il se tourne et retourne sur sa couche comme s’il avait un javelot dans le sein. Sa tête bat à droite et à gauche sur ses épaules. Tout à coup il se lève, court la ville comme un forcené, puis regagne son lit sans le trouver plus paisible. Telle fut la nuit d’Attila. Au point du jour, il mande à lui ses officiers : « Que l’on parte, leur dit-il, qu’on les poursuive; qu’on me ramène Walter en lesse comme un chien méchant. Celui qui me le livrera, je le couvrirai d’or de la tête aux pieds, je l’enterrerai dans l’or!.... » Le poète nous dit que nul n’osa partir, ni ducs, ni comtes, ni chevaliers, tant le nom de Walter inspirait de frayeur; mais un autre récit traditionnel fait foi qu’il se trouva douze guerriers déterminés qui se mirent en route au grand galop de leurs chevaux.

Arrêtons-nous un instant à cette peinture de la douleur d’Attila, sur laquelle le poète insiste comme à plaisir. Dans ce désespoir qu’éprouve le Hun à la fuite d’Hildegonde et de Walter, désespoir dont toutes les angoisses nous sont détaillées avec une sorte d’affectation, faut-il ne voir que de la colère? Au contraire, la rage aveugle et insensée qui lui fait perdre un temps précieux pour la poursuite des fugitifs n’a-t-elle pas tous les caractères de la passion? Évidemment Attila aime Hildegonde, et c’est au moment où il voit qu’elle lui est ravie et qu’elle en aime un autre, c’est en ce moment où tout semble perdu, que sa passion se révèle à lui, et éclate au dehors avec une violence frénétique. Si le poète ne nous le dit pas expressément, il nous le fait entendre assez, et il n’avait pas besoin d’une explication plus formelle avec des lecteurs qui connaissaient d’avance toute l’histoire comme on connaît un conte populaire. Il s’agissait ici particulièrement de la fuite de Walter et d’Hildegonde et de leur rencontre avec les Franks, et tout