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donna naissance à tout un cycle de poèmes germaniques sur les Niebelungs, poèmes dont le plus développé et le plus parfait est le Niebelungenlied, rédigé, à ce qu’on croit, au XIIe siècle, la conception scandinave reçut de grandes altérations qui affectèrent, non-seulement le caractère des deux principaux personnages, Attila et sa femme Crimhilde (la Gudruna des poèmes germaniques), mais encore le dénoûment de la fable. Sous cette nouvelle formule, la tradition occidentale alla se développant du Xe siècle au XIIIe en rattachant à elle par des emprunts la tradition visigothe de Walter d’Espagne, ainsi que les données de la tradition orientale. Il en résulta un nombre considérable de poèmes épisodiques tels que la Cour d’Attila, le Jardin des Roses, la Colère de Crimhilde, le Chant de Siegfried, la Lamentation des Niebelungs, Bitérolf d’Espagne, etc., et nombre d’autres pièces contenues dans le Livre des Héros (Helden-Buch), La tradition occidentale, dans son épanouissement, dépassa de beaucoup la tradition orientale sur laquelle elle s’était primitivement greffée.

Son succès parmi le peuple fat au moins égal à la vogue de celle-là, car les nouveaux champions avaient de plus que Théodoric et ses braves l’avantage d’être des Germains de l’ouest. On marqua de leur nom les sites les plus pittoresques de la vallée du Rhin. Entre Worms et Spire, on montra une prairie qui avait été jadis, disait-on, le jardin des roses que la belle Crimhilde avait planté de ses mains et que les héros arrosèrent du plus pur de leur sang. C’était là que Théodoric s’était battu contre Siegfried, et qu’Attila lui-même était venu jouter. Ailleurs, on plaça le merveilleux jardin dans une île du fleuve entourée d’âpres rochers, comme le jardin d’Armide. Worms possédait dans ses murs le palais des géans. Siegfried-le-Corné avait sa tombe dans le cimetière de Sainte-Cécile, où l’on conservait soigneusement sa lance, formée d’un énorme sapin. Pour plus de ressemblance avec Théodoric de Vérone, on prétendît qu’il n’était point mort, et qu’il résidait vivant sous la dalle gigantesque de son sépulcre. Un grand concours de paysans visitait annuellement ce tombeau, qui devint un lieu de pèlerinage. En 1488, l’empereur Frédéric III, passant à Worms les fêtes de Pâques, ne manqua pas de s’y rendre comme tout le monde, et l’idée lui vint d’expérimenter par lui-même si le géant Siegfried avait réellement existé. Appelant à lui son intendant, il lui remit 4 ou 5 florins. « Va trouver le bourgmestre, lui dit-il, et ordonne-lui de faire ouvrir cette fosse, pour que je voie ce qu’il y a dedans. » Le bourgmestre prit l’argent, loua des ouvriers et fit creuser la terre sans rien trouver jusqu’à ce que des sources profondes, jaillissant à gros bouillons, eussent interrompu l’ouvrage et dispersé les travailleurs. L’empereur, si nous en croyons la chronique de Worms, s’en retourna bien convaincu que le géant Siegfried n’était qu’un