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travail traditionnel s’accomplit chez ce peuple aux VIIe et VIIIe siècles : c’est la conception poétique de Walter d’Aquitaine, héros destiné à jouer vis-à-vis d’Attila un rôle égal en importance à celui de Théodoric, avec cette différence pourtant que Théodoric est un ami du roi des Huns, et Walter un ennemi. Ce Walter nous est donné comme fils d’Alfer, roi d’Aquitaine ou roi d’Espagne, et cette double qualification, jointe aux noms germaniques des deux princes, nous reporte naturellement aux Visigoths, jadis maîtres de l’Aquitaine entière et refoulés par Clovis en Septimanie et en Espagne. Cette circonstance et d’autres dont je parlerai bientôt ne permettent point de douter que l’invention primitive de Walter n’appartienne à la nation visigothe, qui voulait se faire aussi sa part dans la grande tradition sur Attila.

Il nous est resté de cette conception épique, qui devait être considérable, un épisode complet et des indications éparses au moyen desquels nous pouvons nous former une idée de l’ensemble. L’épisode complet nous raconte une aventure de la jeunesse de Walter, aventure célèbre dans toute la tradition occidentale, et à laquelle il est fait fréquemment allusion dans les poèmes et sagas du cycle des Niebelungs : retenu en otage chez les Huns, le héros y enlève une jeune fille, qui le suit en Aquitaine, où il l’épouse. Nous ne possédons point ce fragment épique en langage teuton, mais en latin, dans un poème écrit au Xe siècle, et qui n’est évidemment qu’une imitation ou plutôt une traduction d’un original germanique. D’ailleurs, le versificateur latin, religieux du monastère de Fleury-sur-Loire, appelé Gérald, loin de revendiquer l’invention poétique de l’œuvre, ne se donne que pour un translateur qui a détaché des aventures de Walter, que tout le monde connaissait, dit-il, cet épisode galant, pour récréer ses frères conventuels et honorer son digne parent, l’évêque Erkhimbald ou Archambauld, auquel il dédie son livre. Cet Archambauld paraît avoir été le même que celui qui administrait l’église de Strasbourg en 960. Devant m’occuper plus tard en détail et de cet épisode et de tout ce qui concerne Walter d’Aquitaine ou d’Espagne, je n’ai qu’un mot à dire pour le moment : c’est que nous retrouvons parmi les personnages importans qui figurent ici le roi Ghibic et son fils Gunther, dont les poèmes anglo-saxons nous parlaient tout à l’heure; ils règnent également à Worms, sur le Rhin, et à côté d’eux vit le farouche Hagan ou Hagen, l’Ajax des traditions germaniques; seulement, tandis que Ghibic et Gunther sont des rois burgondes dans les poèmes anglo-saxons, le poème de Walter en fait des rois franks. Du reste il ne les ménage pas : les Franks y sont représentés comme un peuple de voleurs sans foi et sans courage, qui détroussent les voyageurs que le sort amène sur leurs terres, et qui se réunissent bravement douze contre un seul guerrier; mais ce guerrier est Aquitain, c’est-à-dire Visigoth, et sa supériorité n’est pas un seul