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en même temps qu’une transformation sociale. Grands et petits, clercs et laïques, tout le monde était censé les connaître, et les hommes les plus graves ne craignaient pas d’y faire allusion dans les plus graves circonstances. Foulques, archevêque de Reims, voulant dissuader le roi de Germanie Arnulf de rien entreprendre contre Charles-le-Simple, son parent, lui citait l’exemple d’Hermanaric, qui, « trompé par un mauvais conseiller, ainsi qu’on le lit dans les livres des Allemands, se fit le meurtrier de sa propre race. — Vous ne l’imiterez point, ajoutait-il; vous fermerez l’oreille à des conseils de perversité, et, généreux envers une famille qui est la vôtre, vous étalerez de votre épée la maison royale qui tombe. » L’histoire elle-même se laissa pénétrer, comme tout le reste, par l’erreur populaire. En vain quelques moines érudits, quelques savans évêques protestèrent courageusement au nom de la vérité dans des chroniques peu ou point lues; quiconque voulait avoir des lecteurs pactisait avec la fiction. Ces faits controuvés étaient glissés parmi les faits réels extraits de Jornandès, de Prosper ou d’Idace; on assignait une date à la fuite de Théodoric chez les Huns, à sa lutte imaginaire contre Hermanaric, à ses campagnes contre les géans du Rhin. On vit l’Italie elle-même, entraînée par le courant traditionnel qui lui venait du Nord, admettre quelques-unes de ces fables : ainsi les habitans de Vérone appelaient, au XIIe siècle, maison de Théodoric l’amphithéâtre romain situé dans leurs murs, et le qualifiaient lui-même de roi des Huns. Je ne tarirais pas, si je voulais citer toutes les preuves de la popularité de ces traditions au moyen-âge.

Un exemple montrera avec quelle foi robuste le peuple allemand les avait acceptées. J’expliquerai d’abord que, par une idée pleine de poésie, l’imagination populaire ne pouvant admettre que le roi Théodoric, s’il était damné à cause de ses opinions ariennes et des cruautés qui déshonorèrent la fin de sa vie, eût pu l’être comme tout le monde, l’avait fait descendre en enfer vivant, à cheval, et par le cratère de l’Etna. Or, ceci admis comme croyance vulgaire, nous lisons les lignes suivantes, à l’année 1197, dans la chronique du moine Godefroid de Cologne, qui écrivait vers le milieu du XIIIe siècle : « En cette année 1197, quelques personnes, qui se promenaient le long de la Moselle, aperçurent dans le lointain un fantôme de forme humaine d’une grandeur effrayante et monté sur un destrier noir. Lesdites personnes étant restées immobiles de frayeur, l’objet s’avança vers elles en leur criant de n’avoir pas peur, qu’il était Théodoric, autrefois roi de Vérone. S’étant alors approché, il leur annonça diverses calamités et misères qui allaient fondre bientôt sur l’empire romain germanique, après quoi, tournant bride, il lança son cheval dans la Moselle, traversa le fleuve et disparut sur l’autre bord. »

Les relations des Germains occidentaux avec Attila et les Huns nous