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composent reçurent leur forme définitive, celle sous laquelle ils sont parvenus jusqu’à nous.

Le plus ancien monument connu de poésie germanique a été trouvé dans la France austrasienne, à Fulde, sur une page d’un manuscrit du VIIIe siècle, et il est écrit en dialecte frank : on ne peut guère douter, d’après cela, qu’il n’ait fait partie des collections de Charlemagne. Il y est question de Théodoric et d’Attila. Théodoric, chassé de Vérone par Hermanaric à l’instigation d’Odoacre, a trouvé l’hospitalité à la cour du roi des Huns, et, quand des circonstances favorables lui permettent de rentrer dans son royaume, Attila l’y ramène à la tête d’une puissante armée, et défait Odoacre à la bataille de Ravenne. Voilà les faits d’histoire fabuleuse qui composent le fond de la tradition orientale, et qui sont sous-entendus ici, où il ne s’agit que d’un épisode de cette guerre. L’exil de Théodoric a été long : ses compagnons, partis dans la force de l’âge, reviennent blancs et vieux; leurs femmes sont mortes, leurs jeunes enfans sont devenus des hommes qui ne les connaissent plus; c’est ce qui est arrivé à Hildebrand, le maître, le sage conseiller, l’inséparable ami de Théodoric. Son fils Hadebrand, qu’il avait laissé encore au berceau, est maintenant un guerrier fort et vaillant. Hadebrand croit qu’Hildebrand a péri dans un combat aux extrémités du Nord, et que son corps a été reconnu sur le champ de bataille : des hommes qui avaient navigué dans la mer des Vendes le lui ont affirmé. Ils se rencontrent donc et se provoquent tous deux, le père et le fils. A l’aspect de ce bouclier dont il ne connaît pas les couleurs, lui qui connaît, comme il dit, toute génération humaine, Hildebrand demande au jeune hom.me qui il est. Celui-ci se nomme, et raconte comme quoi son père l’a quitté enfant pour suivre Théodoric, et comme quoi ce père est mort depuis longues années, guerroyant vers la mer des Vendes. Pendant qu’il parle, le vieil Hildebrand détache silencieusement un bracelet précieux qu’il a reçu du roi Attila pour prix de sa vaillance, et il le tend à Hadebrand en l’appelant son fils; mais celui-ci le repousse avec insulte. « De tels présens, lui dit-il, ne se reçoivent que la lance en main, pointe contre pointe. Tu veux me tromper, vieux Hun, espion rusé et mauvais compagnon; tu veux me tromper pour me frapper traîtreusement : mon père est mort !» — « Hélas ! hélas ! s’écrie le malheureux père dans son angoisse, quelle destinée est la mienne! J’errai hors de mon pays trente hivers et trente étés, et maintenant il faut que mon propre enfant m’étende mort avec sa hache, ou que je sois son meurtrier! » Le combat commence; les haches de pierre résonnent sur les armures, les épées fendent les boucliers; mais ici le fragment est interrompu, et ne nous donne ni la fin du combat ni le dénoûment de l’histoire.