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scandales, comme ils disaient encore, qu’ils avaient interdits, et que le sévère John Endicott fit cesser dès son arrivée dans la Nouvelle-Angleterre, comme M. Hawthorne le raconte lui-même. L’association joyeuse de Blithedale ne s’étendra jamais décidément jusqu’aux dernières limites du monde.

Le dénoûment de cet étrange récit est tragique. Coverdale s’aperçoit, dès les premiers mots de Zénobie et d’Hollingsworth, que l’amitié qui les unissait est morte, et que désormais tout est fini entre eux. Hollingsworth a pris pour prétexte de sa rupture la conduite de Zénobie envers Priscilla et l’abandon dans lequel elle l’a laissée; il l’accuse presque de connivence avec Westervelt; ce n’est là pourtant que la raison apparente. La vraie raison peut-être, c’est que la fortune de Zénobie est compromise, et que Zénobie ne peut plus par conséquent lui être d’aucun secours pour la réalisation de ses plans. Fidèle à ses froides abstractions, Hollingsworth brise le cœur de la femme qu’il n’a jamais aimée réellement, mais dont il a toléré l’amour tant que cet amour pouvait lui être utile. Une rupture éclate, pleine de reproches amers, d’accusations, de larmes, une de ces ruptures dans lesquelles les amis unis depuis long-temps, et qui vont devenir ennemis ou indifférens l’un à l’autre, se découvrent mutuellement avant la séparation tous les mauvais instincts, toutes les pensées criminelles, tous les desseins égoïstes qu’ils ont surpris l’un chez l’autre durant leur longue liaison. Après cette rupture, Zénobie confie à Coverdale son dessein de s’éloigner pour toujours et lui fait ses adieux. Coverdale, inquiet et plein de soupçons terribles, erre toute la soirée jusqu’au moment où la pensée du suicide de Zénobie prend enfin possession de son esprit. Obéissant à une mystérieuse inspiration, il vient réveiller Hollingsworth et Silas Foster, leur communique ses soupçons et les engage à venir avec lui à la recherche du corps. C’est une très belle scène que celle-là. La conversation à voix basse de Coverdale et d’Hollingsworth sous les croisées de la ferme, l’apparition du vieux Silas Foster en bonnet de nuit et mettant la tête à la fenêtre pour s’informer de la cause de ce bruit, son ébahissement lorsqu’il est invité à accompagner les deux amis, son incrédulité lorsqu’il apprend que Zénobie s’est noyée et les plaisanteries hors de saison de cette rude nature rustique, la recherche du cadavre, l’agitation empressée d’Hollingsworth et de Coverdale, la froide lenteur de Silas Foster sondant les ondes avec autant de prudence indifférente que s’il péchait le saumon, la description du cadavre retiré des ondes sous les blanches clartés de la lune, — tout cela compose un tableau nocturne profondément sinistre. Ainsi finit le Roman de Blithedale. Toutes ces passions romanesques, toutes ces ardeurs chimériques se terminent par la plus grande des réalités, la mort. Le suicide était la fin naturelle du