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pointe du pied, passer sans être vu, apparaître tout à coup devant vous et vous offrir sa marchandise en chuchotant à votre oreille, puis disparaître comme un rat qui a regagné son trou. D’où cette extrême timidité pouvait-elle provenir? était-ce cette timidité qu’engendrent les longues misères, les vêtemens en haillons, la nécessité de supporter sans pouvoir se défendre les railleries et les brusqueries des acheteurs dont dépendait le soutien de son existence? Coverdale se met à la recherche du vagabond, et le retrouve dans un de ces cafés où il avait l’habitude de se rendre dans les nuits de sa jeunesse, — alors, dit-il, qu’il n’était ni tempérant ni sage. Là il prend à part le vieux Moodie, et obtient de lui non sans peine qu’il lui raconte son histoire.

Le vieux Moodie avait connu des jours meilleurs, et s’appelait jadis Fauntleroy. C’était un homme d’un méprisable caractère, et qui mettait tout son bonheur dans l’éclat et le luxe extérieurs. Ruiné par suite de ses prodigalités vaniteuses, il avait commis un crime, un vol ou un faux, et était parti laissant une jeune fille qui avait été recueillie par ses parens. L’enfant qu’il abandonnait ainsi était précisément cette belle Zénobie, véritable portrait de sa première existence, orgueilleuse et superbe extérieurement, artificielle au fond. Après ses désastres, Fauntleroy avait fui dans les états du nord, et alors son caractère avait changé subitement; il était devenu aussi timide, aussi servile, aussi craintif qu’il avait été jadis fastueux et arrogant. D’un second mariage avec une pauvre femme du peuple, il avait eu une petite fille, Priscilla, image vivante à son tour de sa seconde existence. Timide, sans volonté, sans caractère, cette enfant, à mesure qu’elle avait grandi, avait présenté tous les types d’une susceptibilité nerveuse excessive, qui l’avait fait surnommer par les voisins la petite prophétesse, et avait attiré l’attention d’un de ces charlatans si communs aux États-Unis, où le charlatanisme médical règne en maître. Vous savez le reste; ce charlatan, c’est Westervelt; il a fait de Priscilla un moyen de fortune; c’est pour continuer à grossir cette fortune qu’il est allé la chercher à Blithedale, où elle avait trouvé un refuge, et si Zénobie ne peut protéger sa sœur, c’est que Westervelt a été lui-même le séducteur de Zénobie, qu’il l’a, dit-on, épousée secrètement, et qu’elle est engagée à lui par je ne sais quels liens honteux qu’elle ne peut rompre.

Quelque temps après avoir découvert cette vilaine et triste histoire, dont on a pu lire mainte fois l’équivalent dans notre Gazette des Tribunaux, — et qui a tout-à-fait la tournure des crimes modernes, où dominent souvent un certain charlatanisme scientifique et une certaine exploitation philosophique de la niaiserie d’autrui, — Coverdale, au milieu d’une excursion, s’arrête dans un petit village du Massachusetts, et entre dans une salle où les paysans yankees sont venus contempler les miracles et les prodiges d’une séance de magnétisme. Ici l’auteur