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l’immoralité et la friponnerie. « Sa beauté, dit M. Hawthorne, semblait un masque; on eût dit qu’il était facile de la lui ôter. et qu’une fois ce masque enlevé, on trouverait au-dessous le vrai visage, un visage de nain difforme ou une affreuse tête de mort. » Sa vilaine ame mettait sur des traits parfaitement réguliers quelque chose de plat et de vulgaire, et, comme il arrive assez ordinairement aux coquins, sa beauté semblait d’emprunt. Ce personnage a donné sa carte à Coverdale, qui a pu y lire ces mots : Westervelt, docteur-médecin. Évidemment, ce Westervelt est un aventurier ou un charlatan. Maintenant, rappelez-vous les tremblemens nerveux de Priscilla, rappelez-vous que toute sa constitution la prédispose à subir l’influence magnétique, que son faible caractère la rend la proie de la volonté du premier venu, et vous commencerez à comprendre pourquoi M. Westervelt, docteur-médecin, s’enquiert d’elle avec tant de soin, pourquoi Hollingsworth l’a amenée à la ferme en recommandant à Zénobie de veiller sur elle, pourquoi le vieux Moodie est venu demander si Zénobie aimait la pauvre fille et si elle était bien réellement en sûreté.

Coverdale prend donc congé de Zénobie et de Priscilla, il se rend à la ville. Or, dès les premiers jours de son arrivée, comme il est occupé en sa qualité de poète à observer les petits incidens du voisinage et tous ces petits mouvemens de la vie qui témoignent, jusque dans le lieu le plus solitaire et le plus resserré, de l’activité de la nature, — les enfans jouant aux fenêtres, les chats errant sur les gouttières, les tourterelles roucoulant dans leur colombier, — il aperçoit précisément ce même Westervelt à une fenêtre en face de la sienne. Westervelt fait un signe, et bientôt apparaît Zénobie que Coverdale avait laissée à la ferme peu de jours auparavant, et qui n’avait témoigné aucune envie de s’en éloigner. Coverdale redoute quelque catastrophe. Il va rendre visite à Zénobie, et la trouve en compagnie de Priscilla et de Westervelt. L’affreuse vérité commence à luire à ses yeux : Priscilla est la victime de ce charlatan; Priscilla est la dame voilée dont tout le monde, quelques mois auparavant, était allé admirer la clairvoyance magnétique. Il la presse de partir avec lui pour Blithedale, afin d’échapper à la tyrannie du misérable charlatan; mais telle est l’influence de Westervelt sur Priscilla, qu’un seul mot de lui suffit pour l’arracher aux conseils de Coverdale. Quel rôle joue donc Zénobie, qui, présente à cette scène, n’a pas trouvé un mot à dire en faveur de Priscilla, et quelle influence Westervelt exerce-t-il aussi sur elle? C’est en ce moment que Coverdale pense au vieux Moodie, vieux vagabond fort singulier, qui gagne sa vie en vendant des bourses et d’autres petits articles de fantaisie dans les lieux publics et les cafés. Le poète Coverdale avait toujours été frappé de ses habitudes timides et mystérieuses. Il aimait à le voir dans les lieux les plus fréquentés marcher sur la