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qu’elle fait acte de charité. Les modestes parures ne sont point faites pour elle : la soie et le velours sont ses étoffes préférées, et sa belle chevelure est ornée toujours d’une fleur rare et précieuse, d’une fleur des tropiques renouvelée chaque matin. Sa beauté n’a rien du vaporeux moderne : par les traits, les formes du corps, la physionomie, Zénobie rappelle ce genre de beauté aujourd’hui disparue ou à peu près, cette beauté solide, substantielle, précise, ferme et fière, qui a été détrônée par ce qu’on peut appeler la beauté anglaise moderne, car la beauté du corps humain a ses révolutions et ses vicissitudes comme les empires et les planètes elles-mêmes. En voyant Zénobie passer la tête haute et avec une sûreté de démarche toute royale, on ne peut s’empêcher de se poser ce bizarre dilemme : Est-ce une reine, est-ce une actrice? C’est évidemment une femme dangereuse et qui fait penser, lorsqu’on la contemple, à toutes sortes de scènes dramatiques, au classique poignard ou à la romantique fiole de poison. Miles Coverdale, qui l’observe presqu’en tremblant, qui l’épie à la dérobée pour ainsi dire et en jetant sur elle des regards furtifs, a fait une découverte assez singulière : c’est que Zénobie doit avoir été mariée. On n’a jamais entendu parler de ce mariage, et cependant il est impossible qu’il n’existe pas. Zénobie n’a rien de cette fraîcheur et de cette atmosphère humide comme l’aurore qui environne les jeunes filles : c’est une rose dont tous les pétales sont développés, et dont le calice ne contient pas la plus petite goutte de rosée. Mariage ou séduction, telle doit être l’histoire secrète de Zénobie.

Priscilla, jeune fille amenée à la ferme par Hollingsworth et placée par lui sous la protection de Zénobie, est une créature éthérée, maladive, toujours en proie à un petit tremblement nerveux. Elle marche avec la légèreté d’une somnambule, ses yeux ont la fixité du regard magnétique, son esprit est timide comme celui d’un être humain qui a été élevé sous le despotisme d’une dure nécessité ou d’une nature impérieuse. Elle n’a pas de caractère ni de volonté, elle ne peut qu’obéir; c’est un jouet fragile et charmant, qui se laisserait prendre même par la main d’un enfant. Pauvre fleur étiolée et qui a manqué d’air et de soleil pour se développer, Hollingsworth l’a amenée à la ferme en apparence pour que sa santé pût s’y améliorer, en réalité pour l’arracher des mains d’un tyran et d’un charlatan. — Mais ne sentez-vous pas tout ce qu’il y a d’équivoque chez ces quatre personnages? Évidemment, ils ne réformeront jamais le monde. Tous les quatre ils vont se trouver en face les uns des autres; leurs intrigues nous occuperont beaucoup plus que la ferme elle-même : arrêtons-nous donc un instant pour contempler le spectacle de cette fraternelle société.

Rien n’est plus significatif que la première soirée que nos réformateurs passent ensemble à Blithedale après le souper. La société se