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recherche, il en a le goût, comme certaines personnes ont le goût des cimetières. Rien ne se ressemble moins que les récits funèbres du colérique Godwin et les récits funèbres du calme et indifférent Hawthorne. Encore une fois, l’auteur du Roman de Blithedale est bien lui; il est bien original : c’est l’écrivain le plus américain que les États-Unis aient produit après Emerson.

L’élément caractéristique du talent de M. Hawthorne, c’est la puissance dramatique. Il a au plus haut degré ce que j’appellerai le sentiment des choses insaisissables, la peur, la solitude, la terreur des ruines, et surtout le sentiment de ces imaginations monstrueuses qui naissent spontanément et tout à coup dans l’esprit même le plus moral et le plus candide. On tremble de s’examiner après l’avoir lu, de crainte de se découvrir quelque folie, quelque pensée de crime, quelque dépravation ignorée. Ses personnages sont de véritables fous philosophiques, raisonnant avec une logique désespérante et se livrant à des excentricités énormes. Ici c’est un ministre qui se met un voile noir sur le visage et qui meurt sans l’avoir enlevé, symbole de l’égoïsme humain et de la défiance de l’homme pour son semblable. Là, c’est un vieillard qui, se mariant à soixante ans avec une femme du même âge, jadis sa fiancée, fait sonner le glas des funérailles et vient, revêtu de son drap mortuaire, se marier non plus pour la vie, mais pour la tombe et pour l’éternité. Ailleurs, c’est un personnage qui s’est mis à la recherche du péché impardonnable et qui, après mille courses et mille pèlerinages, finit par le découvrir en lui-même. Ce péché impardonnable, c’était de mettre ses affections à la merci de son intelligence, de briser les cœurs de ceux qui nous aiment pour éprouver les joies d’un orgueil immoral, de marcher en un mot sur le genre humain comme les chars des idoles de l’Inde sur les fidèles superstitieux pour assouvir des pensées d’ambition. Le funèbre domine. Une odeur comparable à celle que répandent les apprêts des funérailles, le drap mortuaire, la branche de buis trempée dans l’eau bénite et le parfum de ces fleurs si tristes nommées immortelles, vous monte à la tête et vous étourdit. La terreur religieuse du protestantisme, la pensée effrayante de la damnation sans fin, circulent dans ces écrits à l’insu même de l’auteur. Et pourtant, malgré ce talent dramatique, les écrits de M. Hawthorne sont froids. Un certain scepticisme transcendantal s’étend sur tous ses récits; il juge et explique les actions humaines, il ne les laisse pas à notre interprétation et au jugement de notre libre arbitre. Ses personnages sont tout intelligence; ils sont trop métaphysiques, ils n’ont pas de sang, d’entrailles, de muscles, et ils ont rarement des larmes.

Les contes de M. Hawthorne ont fait passer devant mes yeux comme une vision bizarre : il me semblait voir une foule de petits moi venant