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pouvait être capable de se livrer à ce perpétuel examen de conscience que nous trouvons dans les écrits de M. Hawthorne, à cette confession silencieuse et muette des erreurs de l’esprit; lui seul était capable d’entreprendre ces fouilles dans l’ame humaine pour y découvrir non des trésors, mais des sujets d’épouvante, des reptiles engourdis, des témoignages de crimes oubliés. Le moderne Hawthorne, pas plus que ses ancêtres, n’a cette faculté si agréable et si utile, — la puissance de s’abuser, de s’illusionner : sa vue est perçante comme celle du lynx; il distingue une mauvaise pensée à son ombre; il sait découvrir le diable sous bien des formes diverses, même sous des formes morales, et il pourrait dire comme John Bunyan : « J’ai vu qu’il y avait des routes qui partaient du ciel et qui conduisaient directement à l’enfer. » Le fond réel, l’élément primitif de sa nature est puritanique; sur ce fond solide, le XIXe siècle a jeté ses couches successives de libéralisme, de démocratie, de socialisme; il a donné aussi à M. Hawthorne ses qualités littéraires, son amour de la couleur, son romantisme, son habileté de mise en scène, et cette autre faculté qui distingue littérairement notre siècle de tous les autres, et qui consiste à s’enchanter de la première chose venue, — d’un visage bizarre, de la teinte d’une chevelure, d’un fait mystérieux, — avec autant de flamme et de passion que s’il s’agissait d’une vérité absolue.

Il y a dans la vie de M. Hawthorne trois événemens principaux, et qui se sont traduits tous trois par des livres : sa participation à l’association fouriériste de Roxbury, qu’il vient de raconter dans le Blithedale Romance; — son séjour à Concord, dans le vieux presbytère, et qui nous a valu les Mousses du vieux Presbytère; — son passage comme employé au custom-house de Salem, pendant lequel il conçut l’idée et rassembla les matériaux de la Lettre rouge. Il a fait partie du petit groupe de philosophes et de poètes qui s’est formé dans le Massachusetts, et a été l’intime ami de miss Fuller. « En 1842, écrit Emerson, Nathaniel Hawthorne, déjà connu par ses Contes deux fois dits, vint à Concord habiter le vieux presbytère avec sa femme, qui elle-même était une artiste. Marguerite forma d’étroites relations avec ce couple excellent; elle aimait leur vieille maison et le bon goût avec lequel ses nouveaux habitans l’avaient remplie d’objets modernes et de meubles à la dernière mode et d’une belle forme, qui, bien loin de contraster avec l’antique ameublement laissé par les premiers propriétaires, s’harmonisaient au contraire avec lui. » M. Hawthorne a subi bien des influences philosophiques et de genres différens, mais qui n’ont pas déteint sur lui plus qu’il n’était nécessaire. C’est un homme d’un esprit très fin, et qui a su se soustraire au despotisme (ce qui n’est pas toujours facile) des hommes avec lesquels il a vécu. M. Hawthorne a vécu parmi des utopistes, des réformateurs, des sectaires, des philosophes : jamais il ne