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Fourier remplaçant le sacrement du mariage, l’idée du devoir remplacée par l’idée du bonheur, des velléités de dévouement envers ses semblables fondées sur un désir égoïste de bien-être individuel, l’application raffinée, subtile, quintessenciée de cette maxime morale du Sganarelle de Molière : « Quand j’ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit soûl dans ma maison ; » un nouveau genre d’exploitation de l’homme par l’homme qui n’a pas été assez analysé, c’est-à-dire l’exploitation de l’homme par son semblable, non plus au profit d’intérêts matériels, mais pour le bénéfice d’une idée fixe abstraite, d’une manie systématique, d’un dada philosophique, — telles sont les belles choses dont nous entretient, dans son dernier ouvrage, le subtil et ingénieux M. Hawthorne.

Avant d’entrer dans l’analyse de ce livre, qui nous a transporté de six ans en arrière et nous a fait revoir comme dans un songe les années évanouies avec leurs discussions, leurs sottises, leurs puérilités philosophiques encore innocentes et leurs équivoques aspirations vers le bonheur du genre humain, nous voudrions esquisser en quelques traits le caractère général du talent de M. Hawthorne. Ici même, nous le savons, l’auteur de la Lettre rouge a trouvé un spirituel appréciateur[1] ; mais le Roman de Blithedale deviendrait une énigme indéchiffrable, si l’on ne se remettait en mémoire, avant de l’aborder, la nature de l’écrivain et la tournure de son esprit.

M. Nathaniel Hawthorne est un Américain d’origine pure, il est de bonne race. Vous vous rappelez, dans certains romans de Walter Scott, ces redoutables personnages qui lisent à haute voix la Bible, l’épée à la main, dans leurs promenades solitaires à travers les campagnes, Vous connaissez ces hommes indomptables dont l’histoire d’Angleterre est remplie au XVIIe siècle, presbytériens covenantaires d’Ecosse, non conformistes anglais privés de leurs oreilles et liés au pilori, soldats de l’armée de Cromwell, émigrans du May Flower : c’est d’un aïeul semblable à quelques-uns de ces personnages énergiques et sombres, grim and earnest, comme disent les Anglais, que descend M. Hawthorne. Il y a maintenant deux cent vingt-cinq ans que le premier Hawthorne arriva en Amérique ; il fut un des colons qui bâtirent la petite ville de Salem, dans le Massachusetts, et contribua, pour sa part, « à poser sur le roc, comme le dit son descendant, les indestructibles fondemens de la Nouvelle-Angleterre. » C’était un terrible homme que le premier Hawthorne. « À la fois soldat, législateur et juge, soutien de la discipline de l’église, il avait tous les traits, bons et mauvais, de la nature puritaine. » La tolérance n’était pas précisément son caractère dominant ; les quakers ont conservé son

  1. Voyez, dans la livraison du 15 avril 1852, une étude sur M. Hawthorne.