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miniaturistes, imprimeurs et relieurs, qui donnent aussi un contingent nombreux de productions brillantes, dont l’étude forme ce qu’on peut appeler l’archéologie bibliographique. Par malheur, cette science toute spéciale est restée jusqu’à ce jour concentrée dans un très petit cercle d’initiés, qui collectionnent à grand prix quelques joyaux précieux, et les gardent avec la vigilance attentive et jalouse du dragon qui veillait sur les pommes d’or des Hespérides. A part quelques amateurs de jour en jour plus rares, quelques élèves de l’École des chartes et quelques bibliothécaires qui, par exception, aiment et connaissent les livres, la bibliographie est, pour le public, une lettre morte, et cependant cette science touche tout à la fois à l’histoire la plus intime de la pensée humaine et à l’histoire des beaux-arts. C’est en la considérant surtout de ce dernier point de vue que l’éditeur du Bulletin du bibliophile, M. Techener, a publié, sous le titre de un Musée bibliographique au Louvre, un petit écrit dans lequel il exprime le vœu que l’on fasse de ce palais le siège d’une collection offrant dans l’ordre chronologique les divers types de l’écriture, du dessin, de l’impression et de la reliure, des manuscrits et des livres. Ce vœu mérite d’être pris en considération, car il est évident qu’une collection de ce genre compléterait utilement les dépôts qui font déjà du Louvre un monument sans égal au monde, et que des projets magnifiques vont rendre plus incomparable encore. On embrasserait d’un seul coup d’œil toutes les formes, toutes les variations de la langue écrite, et ce ne serait pas là seulement un musée bibliographique, mais encore une histoire de l’art par les monumens. Les miniatures, dont on réunirait pour chaque siècle les spécimens les plus remarquables, formeraient comme l’appendice de la galerie des tableaux, en même temps que les reliures des diverses époques offriraient au public les produits de l’une de nos industries les plus brillantes et les moins connues. L’objection la plus sérieuse que l’on puisse opposer, c’est que ce musée existe déjà dans nos bibliothèques publiques, et qu’en transportant au Louvre les échantillons les plus remarquables de chaque genre et de chaque époque, on décomplèterait les bibliothèques. Cette objection, prévue par M. Techener, est vivement discutée par lui, et il y répond par des argumens dont quelques-uns nous semblent tout-à-fait victorieux. D’abord, en ce qui touche les imprimés, on ne porterait point atteinte aux spécialités des dépôts publics, car on arriverait facilement, au moyen des doubles dispersés et enfouis dans ces dépôts, à former l’une des sections les plus importantes du musée bibliographique; ensuite, en ce qui touche les manuscrits, la Bibliothèque nationale, en tant qu’établissement scientifique et littéraire, serait peu affectée de l’absence de quelques volumes, moins précieux par ce qu’ils contiennent que par leur antiquité, leur reliure, ou le souvenir des personnages auxquels ils ont appartenu, et, dans tous les cas, les travailleurs sérieux auraient pour les consulter au Louvre la même facilité que dans la rue de Richelieu. Le public aurait de plus l’avantage d’en jouir, et par la classification chronologique, par la simple juxta-position des volumes, on constituerait l’histoire complète de la paléographie, de l’imprimerie, de la miniature et de la reliure. Il n’y a là, en définitive, qu’une question de déplacement. L’idée est simple et toute pratique. Comme le vieux Louvre a été, par la bibliothèque du roi Charles Ve le véritable berceau de la Bibliothèque nationale, il serait bien, dans le Louvre rajeuni, de réunir aux