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LE PROBLÈME DE 89.

que les maximes politiques tirent leur signification véritable. Or, croit-on de bonne foi qu’en émettant leurs théories de liberté et d’égalité naturelles, les auteurs de la déclaration des droits méconnussent et entendissent contester la différence que la nature a mise entre un père et son fils, entre l’enfant au berceau et l’homme dans sa force, entre l’être intelligent et le crétin ? Pense-t-on qu’en se bornant à reproduire, avec quelques ornementations oratoires, la vieille maxime des jurisconsultes romains, Mirabeau, Tronchet et Cazalès lui-même (car, dans le grand débat sur le système des successions, l’orateur de la droite professa, quant à l’origine du droit successorial, la même doctrine que ses collègues), pense-t-on, dis-je, que ces esprits éminens aient entendu réserver à l’état la faculté de dissoudre à son gré la famille en brisant son moule essentiel, la propriété héréditaire ? Si la royauté disparut dans la tempête, fut-ce parce que l’article 3 de la déclaration établissait que tout pouvoir émanait de la nation et en était une délégation directe ? Qui oserait dire que la métaphysique des membres du comité de constitution a été plus funeste à la monarchie que la lâcheté du parti constitutionnel et la fébrile ambition de la gironde ?

La constituante n’eut au fond qu’une seule pensée, celle de rompre avec la société antérieure, et c’est pour cela qu’elle voulut organiser la France moins sur des formes nouvelles que sur des principes nouveaux. Lorsqu’elle mettait en avant la doctrine de l’égalité naturelle des hommes entre eux, cette doctrine n’avait qu’un sens, celui d’une protestation contre le vieil ordre social primitivement constitué par la conquête. Par le seul effet de son origine, qui avait établi une différence générique entre la race conquérante et la race conquise, cet état de choses, très modifié sans doute par les événemens et par les siècles, avait continué jusqu’au jour de sa chute, sinon à parquer les hommes en castes, du moins à les diviser en ordres moins distincts par leurs attributions politiques que par la naissance même de leurs membres. Les constituans n’ignoraient pas plus que l’honorable M. Du Boys que l’enfant a besoin pour vivre du lait de sa mère, et que les sots ne sont pas dans le monde sur le même pied que les gens d’esprit. En déclarant que tous les hommes naissent et demeurent égaux en droits, ils prétendaient établir tout simplement qu’il n’y aurait désormais aucun privilège politique attaché à la naissance ; cela n’avait ni un autre sens ni une autre portée. Quand les jurisconsultes de 89 proclamaient avec éclat les maximes empruntées au Digeste sur l’autorité de la loi civile, c’était pour atteindre dans sa base le régime féodal, sous l’empire duquel la propriété s’était organisée dans la presque totalité de la France, et qui, jusqu’en 1789, continuait encore à la régir. Enfin, quand les publicistes de cette époque opposaient la souveraineté populaire au droit antérieur de la royauté, ils songeaient moins à affaiblir qu’à transformer une