turité dans ses nouvelles productions. Mosè in Egitto est le premier ouvrage où le divin maestro ait révélé la seconde phase de sa manière, à laquelle appartiennent également la Donna del Lago, composée à Naples en 1819, la Zelmira, représentée dans la même ville en 1822, et la Semiramide, qui fut donnée à Venise en 1823. Fixé en France depuis la fin de l’année 1824, Rossini ne tarda point à subir l’heureuse influence de notre goût national. Déjà, dans le Siège de Corinthe, représenté le 9 octobre 1826, on peut reconnaître les premières traces de cette influence. Cet ouvrage, qui a été composé en partie avec les débris d’un ancien opéra italien, Maometto Secondo, lui inspira l’idée d’approprier également pour notre grande scène lyrique son Mosè in Egitto, qui fut donné pour la première fois le 26 mars 1827. Après avoir encore préludé par un chef-d’œuvre de grâce et de fine gaieté, le Comte Ory, opéra en deux actes, qui fut représenté le 28 août 1828, il termina sa glorieuse carrière par une œuvre incomparable, Guillaume Tell, qui est la dernière et suprême transformation de son génie. Comme Gluck, comme Sacchini, Cherubini, Spontini et plus tard Meyerbeer, c’est en France que Rossini est venu compléter son œuvre et donner à son style sa forme la plus achevée.
On pourrait se demander ici quel est le genre d’influence que notre pays a exercé sur les hommes éminens qui sont venus successivement nous apporter le tribut de leur génie? Gluck était déjà célèbre en Italie, où il avait composé Orfeo et Alceste, lorsqu’il eut la pensée de venir accomplir en France la révolution qu’il méditait depuis si long-temps; Piccinni, Sacchini, Cherubini, Meyerbeer et Donizetti jouissaient tous d’une assez grande renommée avant de venir à Paris, et il n’y a guère que l’auteur de la Vestale et de Fernand Cortez qui fût à peu près inconnu lorsque la fortune le conduisit en France. Quant à Rossini, son nom remplissait le monde alors qu’il consentit à écrire pour notre première scène lyrique. On l’a dit bien souvent : ce n’est ni par la grandeur de l’inspiration, ni par la nouveauté des idées et l’originalité des systèmes que se distingue le génie de la France aussi bien dans les arts et dans les lettres que dans la philosophie. Manquant d’initiative et de spontanéité, elle reçoit volontiers de toutes mains le germe et, pour ainsi dire, la matière première de ses conceptions ; mais elle communique à ce germe les fécondes propriétés de son esprit et de son goût. C’est en effet par le goût qui implique l’ordre, et qu’on pourrait définir la qualité sociable de l’esprit humain, c’est par le goût que la France se distingue des autres nations de l’Europe, et qu’elle leur est véritablement supérieure. C’est ainsi qu’on s’explique la puissante attraction que la France a toujours exercée sur la société européenne, et qu’on a pu dire avec justice qu’elle marche à la tête de la civilisation. Il semble qu’une idée qui n’a pas été adoptée par la France n’ait point cours en Europe, et que, dans l’ordre politique aussi bien que dans l’ordre scientifique et littéraire, la sanction de son goût et de sa raison soit nécessaire pour donner la mesure, non de ce qui est absolument juste, vrai et beau, mais de ce qui est actuellement possible, utile et accessible à tous. Il serait curieux de suivre dans l’histoire la vérification de cette mission sociale de la France, et de constater l’influence souveraine de son goût sur toutes les productions de l’esprit humain. On y verrait qu’aucune renommée n’a franchi les limites du pays qui l’a vue naître d’abord avant qu’elle n’ait