Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
REVUE DES DEUX MONDES.

moins rude assaut aux généralités théoriques échappées à divers orateurs pour faire remonter jusqu’à cette assemblée la responsabilité du malaise qui trouble aujourd’hui l’Europe. Les hommes les plus éminens de la constituante, moins philosophes que juristes, proclamèrent, d’après les jurisconsultes romains, la maxime que le droit de succession est une création de la loi civile, et que la société ne protège pas seulement la propriété, mais qu’elle la fait naître. Suivant Tronchet, les lois conventionnelles sont la véritable source du droit de propriété et de transmissibilité, double droit institué dans l’intérêt général. De son côté, Mirabeau, dans son célèbre discours posthume sur le système successorial, nie le droit d’appropriation personnelle de la part de l’individu, et semble transformer le propriétaire en usufruitier jouissant dans un intérêt commun, par la volonté et sous la protection de l’état, du fruit de ses travaux, puis le transmettant à ses enfans par l’effet de la même volonté. Or, de tels principes, pris au pied de la lettre, entraîneraient manifestement les plus dangereuses conséquences ; car si la volonté de l’état était reconnue et proclamée comme source unique du droit de succéder, si ce droit n’était rattaché à un fait primordial de notre nature, antérieur et supérieur aux institutions écrites, l’état ne serait-il jamais conduit à revêtir de son autorité les utopies qui immolent l’individu à l’espèce, la famille à la société ? Lorsqu’on voit ces idées-là, hautement professées trois ans après par Robespierre et par Saint-Just, s’imposer à la convention ; quand cette formidable assemblée, armée du droit suprême reconnu à l’état en matière de propriété, se livre à un système de spoliations gigantesques pour assurer le succès de son œuvre révolutionnaire, il devient évident, d’après M. Du Boys, que les doctrines professées par les chefs de la constituante sont la source empoisonnée de laquelle a jailli sur le monde ce déluge de calamités.

Telle est à peu près la série de raisonnemens par lesquels on s’efforce d’établir l’identité des principes de 89 avec ceux de 93 et de confondre dans une réprobation commune des doctrines et des hommes que la conscience publique persiste à séparer. On ne tire pas un moindre parti des banalités métaphysiques sur l’origine de la souveraineté exposées dans la déclaration des droits. Au lieu de chercher la cause des sanglantes perturbations qui suivirent la formation de l’assemblée constituante dans la lutte implacable des rancunes et des intérêts, on la demande à de vagues formules, sans travailler à se rendre compte de ce que celles-ci représentaient alors pour les combattans qui les inscrivaient sur leurs drapeaux.

Cette assemblée a fort souvent mal motivé ses meilleurs actes, car il y avait à cette époque-là plus de droiture de cœur que de droiture d’esprit ; mais c’est du fond de la situation plus que de leur texte même