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tour les représentans les plus illustres de la vieille et traditionnelle politique de rUnion. En moins de six mois, la tombe s’est ouverte deux fois pour recevoir les deux hommes les plus éminens de l’Amérique du Nord. Daniel Webster vient de suivre Henri Clay. Le champ est libre maintenant et ouvert à l’ambition de M. Douglas et de la Jeune Amérique ; le gouvernement des masses peut triompher à son aise. Le parti whig est décapité ; il n’y a plus un seul grand représentant de la politique modérée en Amérique, et savez-vous quel est à cette heure même l’homme le plus conservateur de l’Union ? C’est peut-être le général Cass, le partisan de la politique d’intervention, l’homme qui le premier proposa de rompre toute relation diplomatique avec l’Autriche. C’est encore le seul personnage qui conserve en lui quelque chose de la vieille politique américaine et de la vieille prudence des pères de la république.

La vie de M. Daniel Webster est très belle, moins cependant que celle de Henri Clay. Il y avait peut-être chez lui moins de dévouement, plus d’égoïsme politique. Toutefois l’exemple d’une telle vie est très rare dans les états européens, et il serait difficile d’y rencontrer de simples citoyens capables de consentir à servir leur pays au détriment de leurs intérêts personnels pendant plus de quarante années. M. Daniel Webster était le plus grand juris consulte de l’Union, il eût pu gagner une fortune considérable en renonçant à la vie politique, il a préféré mettre son savoir au service de son pays. Né dans le New-Hampshire en 1782, d’un père extrêmement remarquable lui-même, élevé avec économie, instruit par des maîtres d’école de village, son jeune esprit se forma seul pour ainsi dire. Son père s’imposa de grands sacrifices pour l’envoyer au collège, et Daniel Webster l’en récompensa en subvenant à ses besoins, aussitôt que cela lui fut possible, et aux frais d’éducation d’un plus jeune frère. Avocat distingué de très bonne heure, il vint se fixer à Boston en 1804, et adopta, depuis cette époque, le Massachusetts comme son second pays natal. Les habitans de ce dernier état l’en ont récompensé ; ils étaient fiers de lui, et tout récemment encore ils étaient les seuls défenseurs de sa candidature à la présidence de la république. Envoyé au congrès en 1812, au moment de la guerre entre les États-Unis et l’Angleterre, et s’étant rangé du côté de la minorité, il n’eut pas l’occasion de déployer à son aise ses grands talens politiques et oratoires, qui furent cependant remarqués dès cette époque. Réélu en 1814, il prit une part assez active aux affaires ; mais la modicité de sa fortune l’obligea, pendant plusieurs années, à chercher des ressources dans sa profession d’avocat et l’écarta de la vie politique. Le véritable moment d’où date son rôle public est l’année 1823 ; les principaux actes de sa vie se succèdent dès-lors sans interruption. Il soutint, au sein des congrès, les droits de l’indépendance grecque, attaqua les principes de M. Clay dans la question du tarif de 1824, soutint la candidature à la présidence de Quincy : Adams. Nommé membre du sénat en 1827, il fit une opposition acharnée à l’administration du général Jackson. Lorsqu’arriva l’élection présidentielle de 1836, les électeurs du Massachusetts le présentèrent comme candidat ; mais M. Webster ne devait jamais être heureux de ce côté-là, et Martin Van Buren fut nommé. Malheureux dans sa propre candidature, il aidait à faire nommer les membres de son parti : il soutint la candidature du général Harrison à la présidence, et fut nommé secrétaire d’état pour les