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mère, et nous succombons sous les énigmes qu’elle nous pose. Belle à son berceau comme l’espérance, elle laisse bientôt entrevoir, à la manière du monstre antique, la queue du serpent et les griffes du lion. Les plus nobles pensées aboutissent à des crimes qui font pâlir ; mais, si en face de ces crimes on est tenté de répudier la cause qui les engendre, l’héroïque dévouement du pays qui continue à la défendre et à souffrir pour elle suspend la malédiction sur les lèvres. La révolution résiste à la fois à l’Europe et à elle-même ; elle s’impose à ses adversaires par une force surhumaine aussi difficile à méconnaître qu’à définir. Étrange et mystérieuse épopée qui, mobile dans ses formes autant qu’irrésistible dans son cours, passe de la république à l’empire, de l’empire à la monarchie, pour repasser de la république à la dictature, de telle sorte qu’il est impossible de déterminer si cette ère aboutira finalement au despotisme ou à l’anarchie, à la consécration de tous les droits ou au triomphe des plus brutales passions !

Qu’est-ce que la révolution ? De quelle inspiration est-elle issue ? Est-elle conforme ou contraire aux développemens légitimes de l’esprit humain, et faut-il la bénir ou la maudire ? Y a-t-il une distinction à établir entre les doctrines et les époques révolutionnaires, ou celles-ci se seraient-elles engendrées l’une l’autre comme des conséquences sorties d’un même principe ? Ces questions font le tourment de toutes les intelligences ; elles sont au fond de toutes nos luttes et de toutes nos divisions, que ces divisions aient pour théâtre l’enceinte législative ou le sanctuaire domestique. Ceux qui pensent avoir pris le plus décidément leur parti dans l’un ou l’autre sens se surprennent parfois en contradiction flagrante avec eux-mêmes, car les intérêts s’élèvent souvent contre les croyances, et les instincts font échec aux préjugés. Tous les esprits sérieux sont donc conduits à aborder spéculativement des problèmes auxquels deux générations déjà mortes à la peine n’ont pu donner une solution pratique. Comme pour attester plus nettement la difficulté d’une pareille œuvre, voici qu’une heureuse coïncidence de publication met en regard des solutions en tous points opposées, bien qu’émanées de cœurs également honnêtes et d’intelligences élevées faisant profession de s’éclairer de la même lumière et de s’inspirer de la même foi.

Aux yeux de l’ancien magistrat qui a écrit le livre des Principes de la Révolution française, celle-ci a ouvert une ère de sophismes et de mensonges, entre lesquels il n’est nulle distinction à établir et qu’il faut avoir le courage de répudier intégralement. Les doctrines de 89 ont eu pour corollaires les doctrines de 93, comme celles-ci, à leur tour, ont trouvé leur épanouissement naturel dans le socialisme, qui menace aujourd’hui la civilisation du monde. Mirabeau fut le précurseur de Robespierre, comme ce dernier a été l’inspirateur suprême des rêveurs contemporains, auxquels la force a manqué pour écrire, à