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JEAN-JACQUES ROUSSEAU
SA VIE ET SES OUVRAGES.


V.

RAPPORTS DE ROUSSEAU AVEC VOLTAIRE. — ÉTABLISSEMENT À L’ERMITAGE.[1]

Séparateur


I.

Rousseau était célèbre. Ses deux discours l’avaient tiré de la foule des écrivains. Il n’était pas encore au premier rang, au rang de Voltaire et de Montesquieu ; mais il y marchait. Il sentait en lui-même, et son siècle aussi sentait en lui des idées et des sentimens nouveaux. Dans cet entrain de génie et ce commencement de gloire, Rousseau eut envie d’aller revoir sa ville natale. Il mettait son orgueil à revenir déjà célèbre dans sa patrie, qu’il avait quittée comme un fugitif obscur. Nul n’est prophète en son pays ; mais quiconque est devenu prophète aime à revenir en son pays, ne fut-ce qu’un instant, et à y montrer la renommée qu’il s’est faite ailleurs.

Il fut fort bien accueilli à Genève. Sa famille y était ancienne et estimée, et cette famille s’honorait volontiers d’un parent qui s’était fait une réputation à Paris. Nous sommes trop aisément disposés à croire que les grands hommes ne sont ni les frères ni les cousins de personne. Nous les isolons pour les grandir, ou bien encore nous aimons à les faire sortir de familles obscures et pauvres, pour faire contraste et parfois même pour faire affront à la naissance et à la richesse. Nous

  1. Voyez, dans les livraisons du 1er  janvier, du 15 février, du 1er  mai et du 1er  août 1852, les premiers chapitres de cette série.