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Il est en proie à des emportemens insensés; il ne voit que des traîtres autour de lui et n’a que des paroles de mépris pour les serviteurs les plus dévoués et les plus intelligens de la Prusse. Ses fureurs descendent parfois à d’incroyables grossièretés; ici, c’est un prince allemand qu’il menace du poing dans un salon; là, c’est le ministre d’un petit état qu’il prend par les épaules et jette à la porte de son cabinet. Au moment où le congrès va finir, il n’est plus un seul personnage du corps diplomatique, depuis M. de Nesselrode et M. de Metternich jusqu’aux représentans des puissances secondaires, dont il ne se soit fait un ennemi par son arrogance ou ses mauvais traitemens. L’empereur Alexandre, pour récompenser ses services, lui confère l’ordre de Saint-Étienne et veut lui faire accorder en dotation la belle propriété du Johannisberg, donnée par Napoléon au maréchal Kellermann; M. de Hardenberg promet son concours, mais l’irritation que M. de Stein a causée est si générale et si vive, que la négociation échoue, et le Johannisberg est donné à l’Autriche. Telle était, à l’issue de ce grand drame, la situation d’un des principaux acteurs, tel était le châtiment de son orgueil.

Que devient le baron de Stein pendant la dernière période de la lutte? Sa plus cruelle punition, sans doute, est d’avoir été réduit à l’inaction, lorsque le miraculeux retour de l’île d’Elbe eut ramené de nouveau l’Europe coalisée en face des aigles impériales. Le lendemain de Waterloo, Blücher est le seul qui semble encore se souvenir de Stein; il lui écrit la nouvelle de la défaite de l’empereur avec cette soldatesque insolence qui était chez cette nature sans noblesse la vengeance des affronts subis. Blücher et Stein devaient s’entendre; l’homme qui voulait pendre Napoléon au premier arbre de la route et l’homme qui s’indignait des ménagemens du tsar étaient faits pour se communiquer leurs passions. Quand les négociations recommencent à Paris, l’isolement de M. de Stein est plus marqué que jamais. Il s’y attendait bien, et c’est pour cela qu’il tarda si long-temps à rejoindre les alliés. Il avait quitté brusquement Alexandre à Heidelberg quelques semaines avant Waterloo, et était allé visiter les bords du Rhin avec Goethe, à qui il inspirait une sorte de terreur. Quand les alliés furent installés à Paris pour la seconde fois, Alexandre s’étonna de l’absence de Stein et le manda auprès de lui. Quoique bien résolu à ne pas suivre ses conseils, il devait ce dernier souvenir à celui qui l’avait si puissamment secondé. Stein arrive et reprend avec une imperturbable audace sa tâche du congrès de Vienne : il faut démembrer la France, il faut faire un état de l’Alsace et de la Lorraine et le donner à l’archiduc Charles; mais les mémoires sans fin du baron de Stein n’étaient plus consultés comme autrefois avec une respectueuse déférence; c’est à peine si on y jetait les yeux. Stein fut plus abandonné, encore pendant les