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poste d’ailleurs était fort habilement occupé alors par M. de Hardenberg. Était-ce donc au nom de la Russie que M. de Stein avait été mandé à Vienne? Non; c’était à titre de confident et d’ami de l’empereur Alexandre. Le tsar avait voulu flatter son orgueil par cette collaboration intime, et il lui enlevait en même temps toute occasion de compromettre et d’embrouiller les affaires. L’influence de Stein paraissait immense; elle était nulle aux , eux d’un observateur attentif.

Le baron de Stein avait poursuivi depuis plus de vingt ans le rêve d’une Allemagne régénérée où l’unité du moyen-âge se relèverait sous la direction de la Prusse. Or, à l’heure où tout va se décider, quel est son appui dans ces grandes négociations? Il n’en a pas d’autre que la Russie. C’est au tsar qu’il doit faire agréer ses projets, c’est le tsar qui doit approuver la reconstruction de l’unité allemande. Il a des ambitions généreuses, il a conçu des plans où l’esprit moderne occupe une place légitime; si la Russie ne prend pas sous son patronage ce progrès libéral de la Prusse, tout est perdu. Situation étrange qui résume exactement la carrière de l’imprudent patriote et nous en révèle toutes les méprises! Cette situation n’était pas seulement celle du baron de Stein vis-à-vis de l’empereur Alexandre; toute l’Allemagne en était réduite là : c’est la fidèle image du congrès de Vienne. L’Allemagne entière, au congrès devienne, est soumise à la volonté du tsar. L’Allemagne, dont l’exaltation en 1813 a si bien servi la politique russe, retombe aujourd’hui sous la main puissante qui la faisait agir. M. de Stein avait cru soulever librement l’Allemagne et dominer l’Europe; il n’était que le jouet d’une volonté plus habile. A Berlin et à Arienne, c’étaient les partisans de la paix qui avaient eu raison; c’était M. d’Haugwitz à Berlin, c’était M. de Metternich à Vienne, qui avaient le mieux pressenti les périls de l’avenir, et les patriotes enthousiastes n’avaient relevé l’Allemagne d’un abaissement momentané que pour la soumettre à une influence dont elle n’a pas encore secoué le joug après trente ans d’efforts.

M. de Stein avait beau entretenir chaque jour l’empereur Alexandre, il avait beau rédiger plans sur plans et mémoires sur mémoires : il n’obtenait rien de ce qu’il demandait. Le moment était venu où l’empereur, tout en le comblant d’égards, allait l’éloigner peu à peu. Dans les délibérations si longues sur la Pologne, sur la réunion de la Saxe à la Prusse, sur le rétablissement de l’empire d’Allemagne, ses projets furent tous rejetés. Il semblait travailler lui-même à décréditer son influence; jamais on ne vit absence plus complète de tact politique. Il voulait agrandir la Prusse, et, loin de lui chercher des alliés qui eussent pu soutenir ses prétentions, c’est du tsar tout seul qu’il attendait le succès de ses théories. Il ne voyait pas que le cabinet de Saint-Pétersbourg avait des intérêts absolument contraires, il ne comprenait pas la