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tout régulariser dans les pays soumis. Il est comme un dictateur civil achevant l’œuvre des soldats. Le roi de Saxe, fidèle à celui de qui il tient sa fortune, vient d’être fait prisonnier par les alliés; Stein reçoit la mission d’organiser le royaume (octobre 1813). Il nomme un gouverneur-général, il installe un conseil de gouvernement et il y fait dominer l’influence russe. C’est un Russe, le prince Repnin, qui est gouverneur, et trois Saxons seulement siègent au conseil. Ce conseil, il le réunit immédiatement, et, se tournant vers les membres qui appartiennent à la Saxe, il leur adresse de sévères et impérieuses paroles : « Messieurs, s’écrie-t-il, la Saxe a oublié ses devoirs envers l’Allemagne; voici une occasion de réparer la honte de votre patrie. » En même temps il fait écrire à tous les employés du pays pour les délier de leurs sermons antérieurs; il touche sans hésiter et comme d’une main révolutionnaire aux choses que respecte au fond sa pensée d’homme d’état. On dirait qu’il est heureux de frapper un roi, — un roi, il est vrai, coupable à ses yeux d’avoir déserté la cause allemande. Ce n’est ni par tempérament ni par théorie que Stein devient révolutionnaire, c’est le patriotisme qui l’y pousse. On voit ici le même homme qui, au lendemain de la bataille de Leipzig, écrivait à sa femme : « Nous ne devons pas ce grand résultat à l’influence de lâches hommes d’état ou de misérables princes allemands; nous le devons à deux campagnes pleines de sang, de larmes et de lauriers. » Cette dictature qu’il vient d’exercer à Dresde, il va l’exercer quelques semaines après à Francfort (novembre 1813). Ces fonctions extraordinaires semblent son rôle naturel. Il règne en maître absolu sur toute une partie de l’Allemagne, nommant des gouverneurs-généraux, instituant des conseils d’état, levant des contributions de guerre, remaniant même dans la confédération du Rhin la carte intérieure du pays, faisant enfin, en des proportions restreintes et pour l’intérêt de la patrie allemande, ce que Napoléon avait fait jadis pour l’Europe avec tant de hardiesse et d’éclat. Or, son talent est si mâle, son activité si grande, l’idée qu’il inspire de son autorité et de son droit si prestigieuse, qu’un jour des officiers allemands et russes vont consulter à Francfort le célèbre professeur de droit politique Nicolas Vogt ; et lui demandent si, d’après les lois constitutives, le baron de Stein ne pourrait pas être élu empereur d’Allemagne.

S’il n’était pas empereur d’Allemagne, il est certain cependant que ni le roi de Prusse ni l’empereur d’Autriche n’eurent la même influence que lui, soit à Bâle, soit à Langres, dans toutes les délibérations des alliés. Le territoire de l’empire était déjà envahi; les ennemis couvraient le nord-est de la France. Hésitant et comme effrayés d’une audace qu’ils eussent pu chèrement payer, bien des personnages considérables, diplomates ou généraux, étaient alors disposés à la paix. Alexandre, agité de sentimens contraires, était entouré d’obsessions