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les villes et au fond des campagnes, à l’université, dans l’atelier de l’artisan, sur le sillon du laboureur, des millions d’hommes ressentent enfin les patriotiques ardeurs qui brûlent son ame depuis vingt ans.

La guerre de 1813 a commencé; vainqueur à Lutzen, à Bautzen, Napoléon ne remporte que de stériles triomphes. Ce ne sont plus ces étonnantes journées qui d’un seul coup terminaient une campagne : les merveilleuses combinaisons du grand capitaine viennent échouer contre ces masses innombrables qui sans cesse réparent leurs brèches. Il luttait en Russie contre des procédés barbares; il lutte en Allemagne contre les élémens révolutionnaires brutalement déchaînés. Ces forces qu’il employait jadis en les maîtrisant par son génie, il les trouve en face de lui, violentes, grossières, décidées à tout, mais purifiées, il faut le reconnaître, par le fanatisme de la patrie. Ces forces, il les personnifie surtout dans un homme. Lorsque, dans ses proclamations, il signale aux coups de ses soldats les hideuses bandes des sauvages du Don, le nom de Stein est toujours dans sa pensée à côté de ces noms maudits. La préoccupation des procédés révolutionnaires du baron de Stein est manifeste à ce moment dans tous les actes de l’empire. Ce que représentaient les armées russe et prussienne, c’est la haine de la société, le soulèvement de la canaille contre ceux qui possèdent; leur nom est anarchie. Ce langage se répète partout; il est dans les bulletins du camp impérial, dans les articles du Moniteur, dans les proclamations de l’impératrice-régente. Si Marie-Louise, après la victoire de Lutzen, demande un Te Deum aux évêques de l’empire, elle peint les contrées allemandes comme affranchies de la terreur démagogique, elle parle des actions de grâces que « l’Allemagne rend au dieu des armées pour l’avoir délivrée, par l’assistance qu’il a donnée à son auguste protecteur, de l’esprit de révolte et d’anarchie dont l’ennemi avait embrassé la cause. » Partout enfin on voit le dessein de déshonorer l’ennemi et de paralyser dans ses mains l’arme redoutable de la révolution.

Ce que n’avaient pu ni Lutzen ni Bautzen, ce n’étaient pas des proclamations qui pouvaient le faire. Stein continuait son œuvre, et l’exaltation patriotique gagnait de proche en proche toutes les contrées allemandes. Après avoir amené la Prusse dans les bras de la Russie, il lui restait à compléter la coalition en décidant l’Angleterre et l’Autriche à y prendre part. Tous ses efforts sont dirigés de ce côté. Il y réussit bientôt, grâce à cette pression qu’il exerce sur les cabinets par le déploiement des forces populaires. L’Autriche se joint à la Prusse; une nouvelle campagne commence, et, malgré la victoire de Napoléon à Dresde, l’effroyable bataille de Leipzig est le signal de nos désastres.

Le baron de Stein est l’administrateur de cette guerre dont il a été le conseiller opiniâtre. A mesure que les alliés avancent, il est chargé de