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qu’à Dieu, car Dieu seul est éternel. » L’univers commençait à comprendre, en effet, que les entreprises de ce génie extraordinaire étaient trop gigantesques pour se maintenir. Mille symptômes apparaissaient, sinistres avertissemens pour nous, promesses de libération pour les peuples frémissans. A Paris comme à Vienne, on ne croyait plus à la longue durée d’une telle fortune. Quand l’étonnante journée de Wagram et le mariage de Napoléon avec Marie-Louise parurent dissiper ces signes funestes, le baron de Stein, avec la clairvoyance de la haine, persista dans ses prophéties de ruine. « Le nombre des hommes qui vous ressemblent, lui écrivait encore le général Pozzo di Borgo, devient moins considérable chaque jour. Qu’importe? dans trente ans d’ici, tout sera bien changé... » Trente ans! M. de Stein ne doutait pas que le terme assigné par la Providence aux épreuves de l’Europe ne dût être plus prochain. Tout un recueil de pensées politiques et morales, écrites par lui dans sa retraite et publiées pour la première fois par son consciencieux biographe, nous montre son ame invincible, convoquant à son aide tous les exemples et tous les arrêts de l’histoire; on dirait qu’il les range en bataille pour une dernière journée qui va décider de tout; il anticipe, dans le domaine des choses de l’esprit, sur la lutte sanglante de Waterloo, il prononce la condamnation suprême. Parmi ces pensées, il en est de fort belles, il en est de mesquines; l’amour et la haine, l’enthousiasme et le ressentiment s’y croisent et produisent des inspirations de valeur très inégale; ce qui en fait surtout le dramatique intérêt, c’est cette foi imperturbable dans les catastrophes qui affranchiront son pays. Les choses présentes n’ont plus de prise sur M. de Stein, tant son imagination goûte déjà par avance les consolations et les vengeances qu’elle appelle ! Le mariage de Marie-Louise l’a indigné, la mort de la reine de Prusse remplit son ame de douleur; mais, qu’ils excitent son affliction ou sa colère, il n’est pas d’événemens qui puissent désormais l’ébranler. Les persécutions seront-elles plus fortes que sa constance? Sa sœur, la chanoinesse de Wallerstein, a été expulsée de son abbaye, conduite brutalement à Francfort, forcée de se rendre à Paris à pied. Lui-même il a été traqué comme un malfaiteur; ses biens sont confisqués, et le roi de Prusse, pour ne pas se compromettre, ose à peine lui adresser, dans les termes les plus secs, une lettre de condoléance. Si la persécution redouble, Mme de Stein, dans une supplique désespérée, implore pour ses enfans la clémence de Napoléon; Marie-Louise lui promet son appui; M. de Champagny et le duc de Bassano ne négligent rien pour fléchir le maître : tout cela est vain; M. de Stein reste sous le coup du décret qui l’a frappé. Que lui importe? il est plus libre dans son action. Dépouillé de ses biens, chassé de l’Allemagne, il n’a plus d’asile qu’en Russie. C’est là qu’il faut le suivre pour assister, dans le sein de la dernière coalition européenne, à toute une partie peu connue de l’histoire de