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du roi, le prince Guillaume, était à Paris, sollicitant de M. de Champagny l’adoucissement des charges imposées à son pays. Ces malheureux Prussiens n’ont pas de quoi manger, disait l’empereur Alexandre à M. de Caulaincourt, et M. de Stein allait partir pour Erfurt afin d’intéresser plus vivement encore l’allié de son souverain aux infortunes de la Prusse, et tout à coup le Moniteur, avec l’accent du maître, signalait la lettre de l’imprudent agitateur comme une des causes qui amènent la chute des empires. À cette effrayante menace, à ces dures paroles contre des ministres aussi malhabiles que pervers, il est facile de voir que l’exemple de l’Espagne invoqué par l’homme d’état prussien était pour Napoléon un sujet d’inquiétude et de colère. Cette préoccupation éclata encore quelques semaines après d’une façon inattendue. Le Moniteur du 21 novembre 1808 contenait le troisième bulletin de l’armée d’Espagne, daté de Burgos, 13 novembre. Après avoir raconté la défaite des troupes espagnoles, l’auteur du bulletin se tourne subitement vers la Prusse et apostrophe M. de Stein :


« Les jeunes étudians de Salamanque qui croyaient faire la conquête de la France, les paysans fanatiques qui rêvaient déjà le pillage de Bayonne et de Bordeaux et se croyaient conduits par tous les saints apparus à des moines imposteurs, se trouvent déchus de leurs folles chimères. Leur désespoir et leur consternation sont au comble. Ils se lamentent des malheurs auxquels ils sont en proie, des mensonges qu’on leur a fait accroire, et de la lutte sans objet dans laquelle ils sont engagés.

Il faudrait que les hommes comme M. de Stein, qui, au défaut de troupes de ligne qui n’ont pu résister à nos aigles, méditent le sublime projet de lever des masses, fussent témoins des malheurs qu’elles entraînent et du peu d’obstacles que cette ressource peut offrir à des troupes réglées... »


Étranges ressouvenirs et qui révèlent bien une préoccupation irritée ! Le grand homme sentait l’aiguillon de ses fautes et commençait à douter de sa fortune. Avec le sûr coup d’œil du génie, il voyait déjà l’Europe soulevée, il voyait des masses d’hommes succéder aux armées régulières, il voyait les forces morales, le sentiment patriotique, l’amour passionné de l’indépendance, passer des Français aux autres peuples européens; la politique du baron de Stein lui inspirait de confuses alarmes; de là ce dédain qui déguise mal la colère. Pour conjurer l’orage, M. de Stein n’avait plus qu’à offrir sa démission au roi. Frédéric-Guillaume hésita quelques semaines, voulant par là sauver sa dignité. Il se décida pourtant, et le Moniteur du 18 décembre portait en tête ces simples mots, qui sont comme l’enregistrement d’une satisfaction publiquement faite : « La gazette de Kœnigsberg du 27 novembre annonce officiellement la retraite du ministre d’état baron de Stein, qui a reçu sa démission sur la demande qu’il en a faite au roi. »

C’est le 24 novembre 1808 que Frédéric-Guillaume accepta la