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logerie et animé par son exemple et ses conseils, à m’occuper sérieusement de la perfection de cet art, on ne sera point surpris que, dès l’âge de dix-neuf ans seulement, je me sois occupé à m’y distinguer et à tâcher de mériter l’estime publique. Les échappemens furent les premiers objets de mes réflexions. Retrancher tous leurs défauts, les simplifier et les perfectionner fut l’aiguillon qui excita mon émulation. Mon entreprise était sans doute téméraire ; tant de grands hommes, que l’application de toute ma vie ne me rendra peut-être jamais capable d’égaler, y ont travaillé sans être parvenus au point de perfection tant désiré, que je ne devais point me flatter d’y réussir ; mais la jeunesse est présomptueuse, et ne serais-je pas excusable, messieurs, si votre jugement couronne mon ouvrage ? Mais quelle douleur si le sieur Lepaute réussissait à m’enlever la gloire d’une découverte que vous auriez couronnée !… Je ne parle pas des injures que le sieur Lepaute écrit et répand contre mon père et moi, elles annoncent ordinairement une cause désespérée, et je sais qu’elles couvrent toujours de confusion leur auteur. Il me suffira pour le présent que votre jugement, messieurs, m’assure la gloire que mon adversaire veut me ravir, et que j’espère de votre équité et de vos lumières. »

« Caron fils.
« Paris, le 13 novembre 1753. »


L’Académie des Sciences nomma deux commissaires pour instruire ce procès, et, à la suite de leur rapport, qui est fort long et dont je fais grâce au lecteur, elle donna complètement gain de cause au jeune Caron par le jugement qui suit :


Extrait des registres de l’Académie royale des Sciences du 23 février 1754.

« M. Camus et de Montigny, qui avaient été nommés commissaires dans la contestation mue entre les sieurs Caron et Lepaute, au sujet d’un échappement dont ils se prétendaient tous deux inventeurs et dont la décision a été renvoyée à l’Académie par M. le comte de Saint-Florentin, en ayant fait leur rapport, l’Académie a jugé, le 16 février, que le sieur Caron doit être regardé comme le véritable auteur du nouvel échappement de montres, et que le sieur Lepaute n’a fait qu’imiter cette invention ; que l’échappement de pendule présenté à l’Académie le 4 août par le sieur Lepaute est une suite naturelle de l’échappement de montres du sieur Caron ; que, dans l’application aux pendules, cet échappement est inférieur à celui de Graham, mais qu’il est, dans les montres, le plus parfait qu’on y ait encore adapté, quoiqu’il soit en même temps le plus difficile à exécuter.

« L’Académie a confirmé ce jugement dans ses assemblées des 20 et 23 février, en foi de quoi j’ai délivré au sieur Caron le présent certificat, avec la copie du rapport, conformément à la délibération du 2 mars.

« À Paris, ce 4 mars 1754.
« Signé : Grand-Jean de Fouchy,
« Secrétaire perpétuel de l’Académie royale des Sciences. »


Tel fut le premier procès que Beaumarchais gagna comme il devait, plus tard, gagner presque tous les autres. Celui-ci, ayant valu tout