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vive, il s’en fallait bien que son courage fût abattu; ses douloureuses préoccupations n’avaient pu éteindre chez elle les flammes sacrées de l’espérance. Stein prit immédiatement les affaires. Il avait été investi d’une autorité sans exemple; il était le chef du cabinet, il recevait les rapports de tous les ministres, conférait avec eux, leur donnait ses ordres, et quatre fois par semaine présentait les décrets et règlemens à la signature du roi. A lui seul, il remplaçait ce conseil de cabinet qu’il avait si violemment attaqué; mais son action était régulière et publique : aidé des autres ministres, soutenu et éclairé par des fonctionnaires qui recevaient eux-mêmes la lumière des différens degrés de la hiérarchie, il représentait et gouvernait la Prusse.

Ce système représentatif était bien celui qu’avait toujours rêvé le baron de Stein; il ne restait plus qu’à en élargir la base. Quand il était simple gouverneur de province, il avait opéré maintes réformes où brillait l’esprit de 89; il va maintenant appliquer les mêmes principes à la réorganisation de la monarchie tout entière. Le baron de Stein n’a qu’une pensée : bien que l’armée française occupe encore la plus grande partie du royaume, bien que la Prusse soit vaincue, son armée en déroute, ses finances dispersées, il veut relever sa patrie et la ramener sur le champ de bataille. Il fera alliance avec l’Angleterre, avec la Russie, il armera l’Europe; mais d’abord il faut remettre la Prusse sur ses pieds.

Trois grandes réformes furent opérées sans délai : la réforme des lois territoriales, la réforme des municipalités, et la réforme militaire. Les nobles seuls jusque-là pouvaient posséder des biens-fonds; une loi du 9 octobre 1807 détruisit ce privilège; le vasselage de la glèbe fut aboli; bourgeois et paysans, tous les citoyens furent autorisés à acquérir, à posséder, à faire valoir la terre; les nobles à leur tour, la loi le déclarait hautement, ne dérogeaient plus en s’occupant d’industrie et de commerce; il n’y avait plus de distinctions arbitraires et odieuses, plus de prérogatives, plus de castes; les bases de l’égalité civile étaient fondées. Il ne suffisait pas que la terre fût accessible au travail de tous; attachés au pays par la propriété, les citoyens devaient y être plus intimement unis encore par le droit de participer à l’administration de leurs communes. Les municipalités furent déclarées électives. Tous les habitans soumis à de certaines conditions de cens, mais sans aucune distinction de naissance ou de culte, choisirent eux-mêmes leurs magistrats. L’armée enfin fut régénérée aussi par les vrais principes démocratiques; les grades d’officiers, réservés jusque-là aux hommes de race noble, devinrent, comme la terre et les magistratures municipales, la récompense du mérite personnel, le prix du courage et des services rendus. En introduisant ces innovations fécondes, le baron de Stein ne pouvait toutefois se décider à sacrifier complètement la