La retraite du baron de Stein fut considérée comme un malheur public dans le parti de la guerre, et ce parti, malgré de si effrayans désastres, c’était encore l’immense majorité de la Prusse. Les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Londres y virent une victoire de M. d’Haugwitz; ils furent persuadés que les partisans de l’alliance française allaient reprendre le dessus. C’est ainsi que l’indécision de Frédéric-Guillaume et un concours fatal de circonstances lui enlevaient tour à tour les auxiliaires dont il ne pouvait se passer. Il n’avait pas su, en présence de Napoléon, s’élever au-dessus des aveugles passions de ses sujets; il allait maintenant exciter la défiance de ses alliés et ralentir leur zèle. M. de Stein recevait de toutes parts des témoignages de sympathie pour sa personne et d’indignation contre le cabinet du roi. Il quitta la Prusse. « Qu’irais-je faire à Memel ou à Kœnigsberg? écrivait-il à l’ardent patriote Niebuhr. Assister à des actes ridicules, voir de près les hontes de la patrie, et demeurer là, immobile, sans rôle, sans action possible, comme le journalier qui va et vient sur la place, attendant qu’on lui loue son travail ? » Il partit donc, jetant ce dernier adieu de colère et ce dernier regard de mépris au conseil qui avait causé, selon lui, tous les malheurs de la Prusse et qui menait la monarchie à sa perte. Il se retira dans ses biens du duché de Nassau. Là, calmée un peu par la distance, délivrée du spectacle qui blesse son irritable ardeur, sa pensée retourne vers la Prusse et poursuit obstinément ses plans de réforme. Le phénomène que nous avons déjà signalé dans le développement de ses idées politiques se reproduit ici d’une manière éclatante. Son patriotisme le débarrasse des préjugés de caste et le rend sympathique aux principes modernes. Ces principes, il les devine d’instinct, il semble les découvrir. Ce n’est point par tactique et en se faisant violence qu’il admet un droit nouveau; sa passion patriotique l’inspire, et, certaines réformes lui apparaissant comme l’unique moyen de salut, il les proclame. Un mémoire écrit par lui au mois de juin 1807 est le complément de celui qu’il adressait au roi l’année précédente. Il suppose le conseil intime détruit, il suppose le ministère mis en communication directe avec le roi, et se demande par quels moyens on le mettra aussi en communication avec le peuple. Il construit alors tout un système de gouvernement représentatif. « Ranimons, s’écrie-t-il en terminant, ranimons le sentiment de l’existence commune; utilisons des forces qui sommeillent ou qui sont dissipées en petites choses; que l’esprit de la nation et l’esprit de l’autorité fassent alliance! Sauvons la patrie, sauvons l’indépendance et l’honneur national! » Belles paroles sur les lèvres de ce grand seigneur, et qui peignent l’homme tout entier : le réformateur politique n’est jamais chez lui que l’auxiliaire du patriote; plus de privilèges, plus de droits féodaux; relevons le peuple pour relever l’Allemagne !
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