Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/724

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

92 et de 93, où ces idées éclatent avec une singulière franchise. « Nous ne triompherons pas dans cette guerre, — écrit-il le 5 mars 1793 à Mme de Berg, intelligence d’élite à qui il confiait toutes ses pensées, — nous ne triompherons pas, mais nous ne succomberons pas non plus... Je m’attends à une lutte de bien des années; qu’importe, si l’influence nous en est salutaire? Cette lutte, elle nous rendra le courage et l’énergie, elle réveillera en nous le sentiment de la vie active, et augmentera nos répugnances pour l’odieuse nation des Français. » Réveiller l’Allemagne et la soulever contre la France, c’est l’inspiration qui se retrouve à chaque ligne de ce qu’il écrit.

Au milieu de ces émotions, le baron de Stein s’était marié. Il avait épousé, le 8 juin 1793, la comtesse Wilhelmine de Walmoden-Gimborn, fille de M. de Walmoden, général au service du Hanovre. Il donne quelques mois au bonheur domestique, et reprend avec plus d’ardeur ses fonctions actives. Il retourne au camp de Mayence, et ses lettres à Mme de Berg nous peignent avec une vivacité expressive les sentimens des chefs; le prince Louis est le seul qui ait de l’enthousiasme; tous les autres ne font que se plaindre des fatigues et de l’ennui du camp. Pendant les campagnes de 1794 et des premiers mois de 1795, chargé de pourvoir à l’entretien de l’armée que commandait le général Mollendorf, le baron de Stein vit de près la démoralisation des troupes, leurs implacables haines contre les alliés allemands, leurs secrètes sympathies pour la France, et même rattachement des jeunes officiers aux théories républicaines. La honte redoublait chez lui les ardeurs du patriotisme. Il faut le voir ainsi, dévoué seul à la cause nationale au milieu de l’entraînement universel, pour comprendre quels trésors de colère s’amassaient tumultueusement dans son ame. L’heure de l’action n’avait pas encore sonné; il portait son joug en silence, continuant dans l’ombre ses pacifiques travaux, rendant au pays tous les services que lui permettaient ses fonctions, et consolé, si un tel mot peut lui convenir, par le témoignage d’une conscience altière. Il a exprimé plus d’une fois l’amère et stoïque volupté que ressent un cœur intègre à se voir seul dans la ligne du devoir, quand un pays entier est prêt à s’abandonner lui-même. Après la paix de 1795 et le traité de Lunéville, c’est ce sentiment qui le soutient encore et le sauve du désespoir.

De 1795 à 1802, Stein remplit de hautes fonctions administratives; en 1802, il reçoit et incorpore à la Prusse les principautés que lui attribue le remaniement de l’Allemagne par Napoléon, et le 27 octobre 1804 Frédéric-Guillaume III, qui depuis sept ans avait remplacé sur le trône son père Frédéric-Guillaume II, lui confie le ministère des travaux publics, du commerce et des douanes. À cette date commencent les réformes qui ont illustré le nom de Stein et qui sont la part la plus