Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marièrent, l’une avec M. de Westhern, conseiller intime de l’électeur de Saxe et ministre à Madrid, l’autre avec M. de Steinberg, qui remplit aussi de hauts emplois diplomatiques au service du roi de Hanovre. La troisième, entrée en religion, devint abbesse du couvent de Wallerstein, près d’Homberg, dans le duché de Hesse. Des quatre fils, l’aîné fut long-temps chargé de graves intérêts comme envoyé du roi de Prusse Frédéric-Guillaume II à la cour de l’électeur de Mayence. Le second prit rang parmi les officiers éminens de l’armée autrichienne sous le règne de Joseph II. Le troisième eut une vie d’aventures et fît en Amérique des voyages et des entreprises qui le ramenèrent misérable au château de ses pères, où il mourut bientôt. Le quatrième enfin, l’avant-dernier né de cette génération, était l’homme hardi destiné à représenter auprès des rois du Nord les fureurs patriotiques de l’Allemagne et à jouer un rôle si mémorable dans les plus grandes péripéties de l’épopée impériale.

Henri-Frédéric-Charles, baron de Stein, naquit au château de ses ancêtres le 26 octobre 1757. Sa mère eut une bienfaisante influence sur l’éducation de son ame. C’est à elle, et il le rappelait souvent en ses vieux jours, c’est à elle qu’il dut sa mâle piété, sa foi inébranlable, qui ne l’abandonna jamais au milieu des plus grands désastres. Envoyé dès l’âge de seize ans à l’université de Goettingue, il s’y livra avec ferveur à l’étude du droit, de l’histoire et de l’économie politique. C’était une belle époque pour entrer dans la vie. Frédéric II et Marie-Thérèse illustraient la Prusse et l’Autriche; Klopstock, Lessing, Winckelmann, Wieland, Herder, donnaient à l’Allemagne le sentiment de sa puissance intellectuelle, et Goethe grandissait pour la gloire. Des rivages de l’Amérique, le bruit de la guerre de l’indépendance arrivait jusqu’au sein de l’Europe et éveillait bien des échos au fond des cœurs. Dans les grands événemens qui s’accomplissaient autour de lui, le fils des seigneurs féodaux puisa surtout des leçons de vertu pratique. Ni les rêves de la poésie, ni les spéculations de la métaphysique, ni les utopies d’un vague enthousiasme n’arrêtèrent long-temps sa pensée; toutes ses émotions avaient besoin de se traduire en actes, et le jeune étudiant ne demandait aux choses de l’esprit qu’une gymnastique pour fortifier l’ame.

Sorti de Goettingue à vingt ans, il passa trois ans à voyager. Il séjourna çà et là dans les principales villes d’Allemagne, parcourut la Bavière, l’Autriche, visita même une partie de l’Italie et alla s’établir à Berlin. Quoiqu’il fût le dernier des fils du baron de Stein, un conseil de famille l’avait investi du droit d’aînesse; c’était sur lui que comptait l’orgueil paternel pour relever la fortune de tous. A quelle cour d’Allemagne le jeune gentilhomme devait-il proposer ses services? Ses parens auraient voulu le voir à Vienne, car, aux yeux d’une ancienne