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toute-puissance, que la Prusse fit appel à des moyens désespérés. On ne peut même comparer cette situation nouvelle à la politique de Frédéric : sous le règne de l’ami de Voltaire, quand Catherine Il et presque tous les rois du Nord prenaient à l’envi sous leur patronage les novateurs disgraciés en France, tout cela se passait dans le domaine des idées. Lorsque l’Allemagne se souleva contre Napoléon, ce ne fut point de la part de la Prusse une sympathie idéale pour des principes venus de l’étranger, ce fut un appel direct aux forces révolutionnaires que le pays renfermait dans son sein. De 1809 à 1813, une nouvelle Prusse se forme. Le jour où un patriotisme aventureux appelle à son aide des élémens terribles qu’il sera plus tard obligé de combattre, ce jour-là la Prusse est marquée d’un caractère distinct entre toutes les nations européennes. Sa force et sa faiblesse, son bonheur et ses embarras, son originalité enfin est tout entière dans cette crise audacieuse, et chaque fois que le sentiment national est inquiet, c’est de ce côté-là que se tournent les regards.

Il a paru depuis un an une série de publications fort curieuses sur les hommes qui ont joué un rôle dans cette dramatique période. Ce sont ou des biographies, ou des fragmens de mémoires, ou des documens nouveaux recueillis avec soin. Un écrivain habile et exercé, M. Gustave Droysen, a raconté de la façon la plus complète la vie du comte d’Yorck ; il nous a restitué tout entière la physionomie mal connue du maréchal prussien, l’un des représentans les plus résolus de la vieille politique et l’intraitable adversaire de toutes les innovations hasardeuses. Les Mémoires du général de Müffling jettent aussi une vive lumière sur bien des points faussement appréciés. M. de Müffling est un de ces officiers prussiens qui, après la déroute d’Iéna, allèrent offrir au tsar leur activité et leurs talens. Ses Mémoires donnent sur la situation des Allemands dans l’armée russe des renseignemens inattendus, et font assister aux passions ardentes, aux luttes et aux divisions tumultueuses qui agitaient les ennemis de la France à la veille de la coalition européenne. Un autre général, M. de Wolzogen, mort en 1845, et qui, soit dans l’armée prussienne, soit dans l’armée russe, avait rempli des postes éminens de 1812 à 1814, a laissé des Souvenirs pleins d’intérêt que vient de publier son fils. Ces documens complètent et rectifient même à certains égards les ouvrages du général de Clausewitz et du duc Eugène de Wurtemberg. On annonce la publication prochaine des mémoires du général Gneisenau ; on nous promet enfin les papiers de l’homme d’état célèbre qui ne sut pas comprendre la politique de Napoléon, et qui, avec une âme généreuse et noble, avec une intelligence d’élite, avec un patriotisme à toute épreuve, contribua cependant pour une grande part aux malheurs de la Prusse : je parle du ministre de Frédéric-Guillaume III, M. le prince de