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plus sincères remerciemens, si vous avez, en effet, eu la bonté de le promettre à Mme Ménard.

« J’ose espérer encore que vous voudrez bien ne pas faire connaître à cette excellente petite femme que je vous ai instruit de l’importance qu’elle prétend qu’on attache à ses démarches frivoles dans une affaire aussi grave, et où il ne s’agit pas moins que de la détention d’un citoyen insulté, grièvement insulté, plaignant, non jugé, que l’autorité jette en prison, y laisse morfondre et se ruiner.

« Plus cette aimable enfant s’efforce à me le faire croire, moins elle me pardonnerait d’en douter, surtout de vous en entretenir, et, comme dit Ovide ou Properce, nullæ sunt inimicitiæ nisi amoris acerbæ ; mais je m’aperçois qu’en la blâmant je fais comme elle, et que je mêle indiscrètement de petites choses aux sollicitations les plus sérieuses. Je m’arrête, et je suis avec le plus profond respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

« Beaumarchais. »


Cette correspondance, où Beaumarchais associe Ovide, Properce et Mlle Ménard à la défense de ses droits de citoyen, amusait sans doute M. de Sartines, mais elle n’avançait en rien les affaires du prisonnier. Ce que le duc de La Vrillière exigeait avant tout de lui, c’est qu’il cessât d’être insolent, c’est-à-dire de demander justice, et qu’il se décidât à demander pardon. Le prisonnier avait tenu bon pendant près d’un mois, jusqu’au 20 mars, lorsqu’il reçoit ce même jour une longue lettre sans signature, écrite par un homme qui paraît s’intéresser beaucoup à lui et qui s’efforce de lui faire comprendre que sous un gouvernement absolu, quand on a encouru la disgrâce d’un ministre, que ce ministre vous tient en prison, et qu’on a le plus grand intérêt à sortir de prison, il ne s’agit pas de plaider en citoyen opprimé, mais de subir la loi du plus fort et de parler en suppliant. Que fera Beaumarchais ? Il est à la veille de perdre le procès le plus important pour sa fortune et son honneur ; sa liberté est entre les mains d’un homme peu estimable par lui-même, car le duc de La Vrillière est un des ministres les plus justement dédaignés par l’histoire, mais la situation est telle que cet homme dispose à son gré de sa destinée. Beaumarchais se résigne enfin et s’humilie. Le voici à l’état de suppliant.


« Monseigneur,

« L’affreuse affaire de M. le duc de Chaulnes est devenue pour moi un enchaînement de malheurs sans fin, et le plus grand de tous est d’avoir encouru votre disgrâce ; mais si, malgré la pureté de mes intentions, la douleur qui me brise a emporté ma tête à des démarches qui aient pu vous déplaire, je les désavoue à vos pieds, monseigneur, et vous supplie de m’en accorder un généreux pardon. Ou, si je vous parais mériter une plus longue prison, permettez-moi seulement d’aller pendant quelques jours instruire mes juges au palais dans la plus importante affaire pour ma fortune et mon honneur,