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dois en être instruit, et j’ose vous dire que je suis peut-être le seul homme dont vous puissiez accepter des secours sans rougir. Plus il sera prouvé par votre séjour au couvent que nous n’avons pas de liaisons intimes, et plus je serai en droit de me déclarer votre ami, votre protecteur, votre frère et votre conseil.

« Beaumarchais. »


Cependant Beaumarchais se résigna bientôt à voir Mlle  Ménard jouir de sa liberté ; elle lui était plus utile qu’au couvent, car elle sollicitait vivement pour lui, et il paraît qu’elle n’était pas sans avoir acquis un certain crédit sur M. de Sartines.

Quant à Beaumarchais, que nous avons vu le premier jour prendre sa position assez philosophiquement, il était horriblement tourmenté. Cet emprisonnement, qui tombait au milieu de son procès contre le comte de La Blache, lui faisait un tort affreux ; son adversaire, profitant de la circonstance, travaillait sans relâche à le noircir auprès de chaque juge, multipliait les démarches, les recommandations, les sollicitations, et pressait ardemment la décision du procès, tandis que le malheureux prisonnier, dont la fortune et l’honneur étaient engagés dans cette affaire, ne pouvait pas même obtenir la permission de sortir pendant quelques heures pour voir à son tour les juges. M. de Sartines lui témoignait la plus grande bienveillance, mais il ne pouvait qu’adoucir sa captivité, sa liberté dépendant du ministre. Beaumarchais avait commencé par plaider sa cause auprès du duc de La Vrillière en citoyen injustement emprisonné. Il lui envoyait mémoires sur mémoires, prouvant surabondamment qu’il n’avait aucun tort ; il demandait le pourquoi de sa détention, et quand M. de Sartines le faisait avertir amicalement que ce ton ne le mènerait à rien, il répondait avec fierté : « La seule satisfaction des gens persécutés est de se rendre témoignage qu’ils le sont injustement. »

En attendant, le jour du jugement du procès La Blache approchait ; aux demandes de M. de Sartines sollicitant pour Beaumarchais la permission de sortir quelques heures par jour, le duc de La Vrillière répondait : « Cet homme est trop insolent ; qu’il fasse suivre son affaire par son procureur ! » Et Beaumarchais, désolé et furieux, écrivait à M. de Sartines :


« Il est bien prouvé pour moi maintenant qu’on veut que je perde mon procès, s’il est perdable ou seulement douteux ; mais je vous avoue que je ne m’attendais pas à l’observation dérisoire de M. le duc de La Vrillière de faire solliciter mon affaire par mon procureur, lui qui sait aussi bien que moi que cela même est défendu aux procureurs. Ah ! grands dieux[1] ! ne peut-on

  1. J’ai dit ailleurs que Beaumarchais était païen en amour ; il l’était un peu en tout sans s’en douter, car je le vois ici écrivant tout naturellement ; Ah ! grands dieux ! au pluriel, comme l’auraient pu faire Horace ou Tibulle s’écriant : Dii immortales !