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m’avait promis de me faire avoir à Orly. M. le comte de Marcouville et autres officiers de la capitainerie étaient présens.

« En sortant de la capitainerie, je montai dans sa voiture, et dis au cocher d’aller chez M. de Turpin, ce qui avait trait à l’explication que je voulais avoir. M. de Turpin, qui sortait, nous observa qu’il valait mieux monter dans un fiacre que de rester trois voitures assemblées à sa porte ; qu’au demeurant il était deux heures, et qu’il n’avait qu’une minute à nous donner, parce qu’il était attendu chez l’ambassadeur de l’empereur. Étant monté dans le fiacre, M. de Beaumarchais me dit que, dans tous les cas, je ne pouvais pas lui demander satisfaction, parce qu’il n’avait qu’une épée de deuil ; je lui observai que, s’il en était question[1], je n’étais pas mieux armé que lui, puisque je n’avais qu’une épée du petit Dunkerque, sans garde, que je lui offrirais d’ailleurs de changer, s’il désirait, mais qu’il s’agissait d’abord d’une explication plus ample. M. de Turpin observa de nouveau qu’il était obligé de s’en aller, ce qu’il fit en convenant qu’il viendrait chez moi à quatre heures. Je me rendis avec M. de Beaumarchais chez lui, pour y dîner[2] ; mais à peine fut-il dans sa chambre, qu’il se mit à me dire des injures atroces. Je lui dis qu’il était un malhonnête homme, et qu’il vînt sur-le-champ me faire raison dans la rue ; mais il préféra de me colleter, en appelant quatre de ses gens, qui se jetèrent, ainsi que lui, sur moi, en m’arrachant mon épée[3]. Il fit en même temps demander par sa sœur M. le commissaire Chenu, devant lequel il a bien encore osé avoir l’impudence de me dire à plusieurs reprises que je mentais comme un vilain gueux, et mille autres horreurs semblables. Sorti de chez M. de Beaumarchais, je fus rendre compte à M. de Sartines, et le surlendemain, par son conseil, à M. de La Vrillière. En revenant de Versailles, j’appris que le sieur de Beaumarchais débitait l’histoire d’une façon déshonnête pour moi, disant qu’il m’avait provoqué et que j’avais refusé de le suivre. Pour lever d’une manière positive tous les nuages de cet article, j’ai cru devoir (plusieurs gens graves l’ont cru de même) aller aux foyers des spectacles y dire que M. de Beaumarchais, tenant des propos sur mon honneur et n’étant pas gentilhomme, ne méritait point que je me compromisse comme j’avais fait la veille, mais bien que je le corrigeasse comme un roturier. Depuis cette époque, le sieur de Beaumarchais a été libre quatre jours sans que j’en aie entendu parler. Il aurait été difficile de savoir qu’il était gentilhomme, puisqu’il est fils d’un horloger ; il n’est pas seulement dans l’almanach royal comme secrétaire du roi[4], et l’on n’a même pas su au tribunal, pendant

  1. S’il en était question est amusant ; le duc, traduit devant le tribunal des maréchaux de France, ne veut pas dire qu’il a provoqué Beaumarchais.
  2. Pour y dîner est d’une naïveté charmante après la conversation avec Gudin dans le fiacre, où le duc dit qu’il veut arracher le cœur de Beaumarchais avec les dents.
  3. Le récit de Beaumarchais est dix fois plus vraisemblable et détruit complètement cet exposé du duc, qui se détruit d’ailleurs de lui-même par la phrase qui suit ; car si Beaumarchais avait eu l’intention de faire assommer le duc par quatre de ses gens, quel intérêt aurait-il eu à faire en même temps demander le commissaire de police ?
  4. Tout le passage qui précède est curieux comme ton ; la dernière assertion du duc est inexacte. Je n’ai pu la vérifier sur l’almanach de 1773, mais j’ai trouvé le nom de Beaumarchais sur plusieurs almanachs d’une date antérieure.