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Et d’abord, un mot sur la question de vraisemblance. Était-il vraisemblable qu’en avril 1770, Beaumarchais, possédant par lui-même une certaine fortune et de plus très riche par sa seconde femme, qui vivait encore (on se souvient qu’elle ne mourut que le 21 novembre de la même année), était-il vraisemblable que, dans cette situation, Beaumarchais s’exposât à fabriquer un acte faux uniquement pour ne pas payer à l’héritier de Du Verney 53,500 francs et pour lui arracher 15,000 fr., — et cela quand il savait d’avance que cet héritier, homme de qualité, maréchal-de-camp, jouissant d’un grand crédit et d’une grande fortune, le détestait de toute son ame, et ne négligerait rien pour l’écraser s’il le pouvait ? Il y a déjà là quelque chose qui choque toute vraisemblance.

En supposant maintenant que Beaumarchais eût voulu ou pu fabriquer un acte faux, lui aurait-il donné la forme qu’avait celui-là ? C’est une grande feuille double de papier à la Tellière ; le détail très compliqué du règlement de comptes, écrit de la main de Beaumarchais, remplit les deux premières pages ; à l’extrémité de la seconde page, il est signé à droite de la main de Beaumarchais, et à gauche daté et signé de la main de Du Verney ; la troisième page contient le tableau résumé en chiffres des stipulations de ce même règlement de comptes.

Que disait de cette pièce l’avocat du comte de La Blache ? Il la discutait avec l’aisance d’un avocat ; tantôt il insinuait que la signature de Du Verney était fausse ; tantôt, sommé de s’inscrire en faux, il déclarait que, si elle était vraie, elle remontait à une époque antérieure à la date de 1770, « époque à laquelle, disait-il, le vieux Du Verney avait une écriture tremblée, tandis que celle qui est au pied de l’écrit est une écriture hardie, qui part d’une main ferme et légère. » Ici l’avocat feignait de ne pas voir ce qui lui crevait les yeux, qu’au-dessus de la signature de Du Verney se trouvaient écrits de la même encre et de la même main ces mots : à Paris, le 1er  avril 1770, c’est-à-dire que Du Verney avait non-seulement signé, mais daté l’acte en question, ce qui obligeait de supposer qu’il se serait amusé, dans sa jeunesse ou dans son âge mûr, à signer et à dater d’avance des blancs-seings pour l’époque de sa vieillesse. Repoussé de ce côté, l’avocat insinuait alors que cette grande feuille double de papier devait être un blanc-seing signé et daté en effet par Du Verney en 1770, mais pour tout autre objet, soustrait ensuite et rempli par Beaumarchais. — Or quelle vraisemblance que Du Verney, dont on faisait d’ailleurs valoir contre Beaumarchais l’esprit d’ordre, laissât traîner chez lui, dans un but qu’on n’indiquait pas, des blancs-seings signés juste à l’extrémité de la deuxième page d’une grande feuille de papier à la Tellière, et de plus signés, non pas au milieu du papier, mais à gauche, précisément de manière à ménager une place à droite pour une seconde si-