Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/669

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenues et où l’on paie moitié moins, sont fréquentées par les vagabonds vivant de filouteries, oiseaux de nuit qui, après un repos de quelques heures, reprennent leur volée et disparaissent. On a fait sur ces mauvais lieux une remarque assez piquante. Dans la plupart des garnis de bas étage, on ne se fait pas grand scrupule de donner pour blanc le linge qui compte déjà d’anciens services. Au contraire, dans certaines de ces cavernes hantées par des malfaiteurs, on a la conscience de demander aux locataires s’ils veulent coucher dans des draps vraiment blancs ou dans des draps sales. Voici d’ailleurs le tarif officiellement constaté : location d’un lit avec draps ayant servi, pour une personne seule, 60 centimes; pour deux personnes, i franc. Avec des draps blancs, seul, i franc, et à deux, 1 fr. 50 c. Voilà qui semblerait cher à d’honnêtes gens, mais des voleurs n’y regardent pas de si près.

Une troisième classe de garnis a une clientelle qui, n’ayant pas encore étouffé tout sentiment d’honnêteté, ne vivant pas encore des industries honteuses ou criminelles, est obligée de restreindre ses dépenses et de se contenter d’un gite plus que modeste. Ici, le prix du couchage est au maximum de 80 centimes pour une nuit, et descend jusqu’à 15 cent. Les habitués sont, pour la plupart, des gens sans conduite, qui, perdant peu à peu l’énergie du travail, commencent à voir sans embarras le repris de justice, et sans dégoût le chiffonnier abruti. On pourrait dire que ces maisons sont situées sur cette pente fangeuse où l’on glisse aisément du vice dans le crime.

A un degré inférieur encore, sont les taudis où l’on couche à 2 sous la nuit. On trouve ici, croupissant dans des foyers d’infection, non pas précisément des êtres dangereux, si ce n’est pour la salubrité publique, mais des malheureux complètement dégradés, chez qui semblent oblitérés tous les sentimens humains, hormis l’instinct bestial de la conservation.

Ces logemens hideux, ce n’est pas la première fois qu’on en a fait la remarque, sont payés plus cher que les habitations somptueuses des beaux quartiers. Supposons six grabats à deux places dans une chambre nue, humide et mal close, louée parfois, avec la condition de ne pas même la balayer, à raison de 20 cent, par place; c’est pour le logeur 2 fr. 40 c. Par nuit, et, à la fin de l’année, 876 fr. Il y a peu de chambres revenant à un tel prix dans l’ensemble d’un riche appartement. On cite même des coucheurs à la nuit qui ont trouvé le secret de se mettre à l’abri des non-valeurs en faisant payer d’avance les locataires : ceux-ci ne peuvent rentrer le soir au logis qu’en glissant par un guichet pratiqué dans le couloir d’entrée les 10 ou 20 centimes en échange desquels on leur tire le cordon. En raison de ces habitudes, le couchage, je ne puis dire le logement, est la grosse dépense pour les gens extrêmement pauvres, une dépense tout-à-fait hors de proportion avec leurs ressources. Un bulletin, reproduit littéralement comme spécimen des procédés de l’enquête, nous montre, dans une ignoble maison du quartier Saint-Médard, 82 locataires gagnant environ 50 cent, par jour et obligés d’en débourser de 20 à 40 pour leurs places sur un grabat. La nourriture compte à peine dans leurs budgets : ils font la soupe avec le pain qu’ils trouvent ou qu’on leur donne en chiffonnant.

Surmontons le dégoût que cause le spectacle de l’abjection humaine et visitons quelques garnis à la suite des employés de l’enquête. Voici, dans le