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chacun de vérifier montrent que des individus dans ces conditions ne peuvent subsister qu’avec la plus sévère économie, et qu’au premier accident malheureux venant rompre le fragile édifice de leur budget, ils glissent dans la misère, dont ils peuvent rarement se tirer. Ces basses régions de l’industrie sont comme le séminaire des hôpitaux et des prisons.

L’insuffisance des salaires dans beaucoup de métiers tient-elle à l’état présent de l’industrie, ou bien est-ce un mal en voie de guérison? Le rapporteur de la commission d’enquête déclare que le progrès ne s’est pas ralenti depuis vingt ans. Toutefois il admet qu’il y a au moins stagnation dans les métiers où le travail consiste en tissage, et il reconnaît comme « un fait incontestable que, dans un grand nombre d’industries, il y a eu baisse sur le taux des façons payées aux ouvriers qui travaillent à la tâche. » Or ces deux exceptions au progrès supposé intéressent à peu près la moitié de la population ouvrière. Entre les deux faits énoncés à vingt lignes de distance, la contradiction est flagrante.

On a essayé encore de prouver la hausse des salaires, en cherchant les élémens d’une comparaison dans les statistiques parisiennes publiées, avant 1830, sous l’administration de M. de Chabrol. Les exemples qu’on cite sont peu concluans. La manufacture nationale des tabacs, où, dit-on, « les salaires ont haussé de près de moitié, » a changé complètement ses usages de fabrication : elle confie aujourd’hui à des femmes la plupart des travaux qu’elle faisait exécuter autrefois par des hommes, de sorte que les ouvriers conservés sont des sujets d’élite, dont la rétribution est plus élevée. On signale encore une hausse de 17 pour 100 au profit des ouvriers employés dans la fabrication des papiers peints; mais on n’a pas remarqué que, pour élever à 4 fr. 10 c. la moyenne de 1847, il a fallu comprendre les dessinateurs et les contre-maîtres, qui n’ont pas été considérés comme ouvriers dans les tableaux de 1828.

Lorsque les faits sont présentés de part et d’autre avec assez de précision pour que le parallèle soit exact, l’avantage au profit de notre temps disparaît d’ordinaire, et surtout pour les industries dont le personnel tient une grande place. Ainsi les menuisiers en bâtiment, au nombre de plus de 8,000, en y comprenant les parqueteurs et les rampistes, gagnaient, de 1821 à 1828, de 3 fr. 50 c. à 4 fr. La moyenne obtenue en 1847 est de 3 fr. 61 c. Il en est de même pour une autre catégorie plus nombreuse encore, celle des maçons, où l’on compte près de 10,000 hommes. Les renseignemens très précis[1]? embrassant une douzaine d’années (1817 à 1828), autorisent à croire que la situation de cette classe s’est à peine améliorée. Le parallèle des salaires paraît défavorable à notre temps pour la cristallerie, la lithographie, la bijouterie et la fabrication des bronzes.

Je relève ces faits pour montrer une fois de plus combien les auteurs de l’enquête sont portés à l’optimisme. Je n’y attache pas d’ailleurs une importance décisive, car, pour se prévaloir de la comparaison, il faudrait d’abord établir qu’une même méthode d’observation et de classement a été suivie

  1. Voir un mémoire spécial et détaillé sur les travaux du bâtiment de 1822 à 1828, annexé au volume de la Statistique parisienne publié en 1829.