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pour 75 millions de viandes dépecées. Les raffineurs achètent pour 20 millions de sucres bruts sur 23 millions qu’ils réalisent par la vente des raffinés. Dans la bijouterie et la joaillerie fines, auxquelles on attribue une vente de 60 millions, la spéculation sur les matières premières joue un rôle beaucoup plus considérable que la main-d’œuvre.

La tendance des industriels à grossir l’importance de leurs maisons est tellement naturelle, qu’il serait inutile de la démontrer. Je la constaterai néanmoins par deux exemples. Il est un état dans lequel les opérations simples et généralement connues permettent une vérification facile : c’est celui des imprimeurs-typographes. L’agencement des lettres typiques, appelé composition, est payé à l’ouvrier d’après un tarif invariable; le patron ajoute, pour ses étoffes et bénéfices, c’est-à-dire pour l’emploi de son matériel, environ 50 pour 100 au prix payé aux compositeurs. Le reste de la dépense consiste en frais de tirage, qui sont inférieurs à ceux de la composition, à moins qu’on ne reproduise la feuille à des nombres considérables, ce qui est exceptionnel. En 1847, suivant l’enquête, il y avait à Paris 87 imprimeries, y compris 7 succursales; elles employaient 4,059 hommes, gagnant en moyenne 4 francs 43 centimes par jour, et la somme collective de leurs affaires s’était élevée à 15,247,211 fr. dans l’année. Or en supposant, ce qui est excessif, 2,400 compositeurs gagnant 1,500 francs par an, et, en ajoutant à leur gain 50 pour 100 pour les étoffes et bénéfices, on arriverait au chiffre total de 5,400,000 fr.; resterait à trouver l’emploi d’une somme de 10 millions en frais de tirage, supposition tout-à-fait inadmissible. Évidemment les imprimeurs-typographes ont grossi de 50 pour 100, et peut-être davantage, le chiffre de leurs affaires.

Je soupçonne également les tailleurs d’avoir prêté à leurs établissemens une importance exagérée. Les salaires, dans cette partie, représentent le quart ou le cinquième du prix des vêtemens. Pour croire que le total des ventes se fût élevé à près de 81 millions, il faudrait admettre que les ouvriers ont reçu pour leur main-d’œuvre de 16 à 20 millions. De l’aveu des patrons les plus expérimentés, cette proportion dépasse de beaucoup le contingent de leurs salariés.

En considérant que sur une production industrielle de près d’un milliard et demi, l’exportation n’a pas dépassé 169 millions, certains publicistes ont admiré les développemens de la consommation intérieure, qui, à ce qu’ils paraissent croire, se serait élevée à 1,295,000,000, rien qu’en marchandises fabriquées dans les ateliers de Paris. Il y a là encore une illusion contre laquelle il est bon de prémunir le public.

L’énorme somme par laquelle on a caractérisé l’importance des affaires en 1847 exprime non pas la valeur effective de la production, mais le mouvement général des échanges. Je vais expliquer cette différence par un exemple. Un boucher vend pour 1,000 fr. de peaux brutes à un tanneur ; celui-ci transforme les peaux en cuirs qu’il recède pour 1,500 fr. à un corroyeur. Lorsque ces cuirs verts ont été amincis, égalisés, assouplis, noircis dans la corroierie, arrive le vernisseur, qui, achetant le même lot 2,000 fr, y applique le vernis, et le revend 2,500 fr, au cordonnier. Ce dernier transforme enfin le tout en chaussures, dont il tire 6,000 fr. Additionnez le