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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

Beaumarchais, ce qui empêche de le ranger soit dans la famille de Locuste, soit dans la catégorie des comiques moroses, ce n’est pas tant la drôlerie, qui peut être artificielle et plus ou moins forcée, que la gaieté, la gaieté franche et vive, pas toujours irréprochable sous le rapport du goût, mais toujours empreinte de cette verve sincère qui tient au naturel plus encore qu’à l’esprit. Beaumarchais donc, n’en déplaise à M. Victor Hugo, naquit et vécut foncièrement gai.

C’est ainsi qu’il nous apparaît dans une correspondance intime qui embrasse plus de cinquante ans ; il va cependant nous apprendre tout à l’heure qu’à treize ans il a eu l’intention de se tuer par chagrin d’amour ; mais on reconnaîtra, je pense, au ton même de son chagrin, que son projet de suicide à treize ans est encore moins sérieux que ce prétendu suicide par lequel on a dit quelquefois qu’il avait terminé ses jours. Le caractère folâtre et espiègle de l’enfance de Beaumarchais est surtout constaté dans les papiers de sa sœur Julie, qui consacre plus d’une page en prose et en vers à raconter les fredaines de son jeune frère. Parmi ces tableaux, je n’en citerai qu’un, en très mauvais vers, parce qu’il paraît le plus ancien, le plus rapproché du temps qu’il décrit. La composition de cette petite pièce remonte à une époque où Beaumarchais n’était encore qu’un jeune apprenti horloger, car il y est appelé Caron. Julie débute ainsi à la façon de l’Enéide ou de la Henriade :

Je chante ces temps d’innocence
Et ces plaisirs de notre enfance
Si vifs et toujours partagés
Avec nos amis Bellangé.

Il est incontestable que la rime n’est pas riche, et que le talent poétique de Julie n’en est encore qu’à ses débuts ; suit un tableau des escapades du jeune Caron, que sa sœur nous montre fait comme un diable, dirigeant une bande de petits vauriens des deux sexes, toujours prêts soit à dévaliser l’office, malgré la résistance de Margot la cuisinière, soit à troubler, le soir, au retour de la promenade, le sommeil des pacifiques habitans de la rue Saint-Denis. Ce qu’il y a de plus curieux dans cette pièce de vers, c’est un passage qui nous prouve que, par une sorte d’instinct prophétique, Beaumarchais, prédestiné aux procès, appelé à faire sortir d’une série de procès sa fortune et sa célébrité, affectionnait particulièrement dans ses jeux d’enfant le genre d’occupation qui devait remplir sa vie. Seulement ce n’est pas comme plaideur que le futur adversaire de Goëzman figure dans le tableau de sa sœur Julie, c’est comme juge.

Là, dans un fauteuil peu commode,
Caron, en forme de pagode,
Représentait un magistrat
Par la perruque et le rabat.