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Sont-ce de véritables patrons que ces travailleurs qui composent à eux seuls tout leur atelier? ont-ils l’indépendance et la sécurité de l’homme établi? Non, sans doute; ce qui constitue le patronat, c’est le maniement d’un certain capital qu’on fait valoir en spéculant sur la main-d’œuvre d’autrui. Celui qui exécute tout par ses mains dans un métier où le capital n’est pas nécessaire subit, comme les autres ouvriers, les variations de salaires, et gagne moins en définitive, parce que son travail est intermittent. Dans cette catégorie de bourgeois employant un aide dans les jours de presse, ou travaillant ordinairement seuls, je trouve, parmi les tailleurs, 2,846 appiéceurs (ouvriers travaillant à la pièce pour divers patrons); 1125 personnes faisant des raccommodages d’habits, et dont plus de la moitié sont concierges; 4,304 cordonniers en neuf ou en vieux, et dont près de 500 tirent aussi le cordon; 893 ébénistes faisant la trôle, c’est-à-dire fabricant à la hâte un meuble et le colportant de boutique en boutique pour le vendre, obligés souvent de le céder à perte, etc.; parmi les femmes, 3,222 blanchisseuses servant seules quelques pratiques, 4,237 lingères et 3,876 couturières travaillant irrégulièrement, soit pour les confectionneuses, soit pour des particuliers chez qui elles vont de temps en temps faire des journées, etc. On se rapprocherait donc de la vérité en rejetant dans les cadres d’ouvriers un bon nombre d’individus classés comme patrons, et en réduisant à 40,000 au lieu de 65,000 le nombre des entrepreneurs d’industrie véritablement dignes de ce nom.

Mais le groupe des ouvriers n’est-il pas à son tour considérablement grossi? Je regrette d’être encore obligé de multiplier les chiffres pour justifier mes doutes à cet égard.

En publiant, il y a huit ans, le cinquième volume des Recherches statistiques sur la ville de Paris[1], l’administration comprit qu’il serait intéressant de jeter quelque lumière sur le classement professionnel des habitans. A défaut de renseignemens précis, elle produisit un tableau de la condition des individus décédés pendant le cours d’une année, de sorte qu’au moyen d’une règle de proportion on pouvait arriver à découvrir par le nombre des morts celui des vivans dans chaque métier. Ce procédé, susceptible d’erreurs pour les professions dont le personnel est peu nombreux, donne des résultats assez exacts lorsqu’on opère sur de gros chiffres. D’après ces données, la population civile de Paris, en comptant les femmes, les enfans, et les ascendans qu’on rattachait à la condition du père de famille, à moins qu’ils n’exerçassent de leur chef un métier distinct, se distribuait ainsi :


Professions libérales et fortunes indépendantes 17 pour cent.
— commerciales 11
— mécaniques 48
Classes infimes et domesticité 24
Total 100

La troisième catégorie, celle des professions mécaniques, correspond au personnel inventorié dans la nouvelle enquête. 48 pour 100 sur 1,034,196

  1. Voir une analyse de cette publication dans la Revue des Deux Mondes du 15 février 1845.