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plus ni moins qu’un empereur romain, et tenait conseil sous sa tente avec les officiers de son armée, quand le chant lointain de la psalmodie frappe ses oreilles; il regarde et aperçoit la file des prêtres débouchant deux à deux sur la chaussée, et l’évêque qui fermait la marche. Ce spectacle ne laisse pas que de le surprendre : « Qui sont ces hommes blancs? demande-t-il à ceux qui l’entourent; où vont-ils et que me veulent-ils? — C’est l’évêque accompagné de son clergé, répond un des assistans plus au fait que lui des usages et du langage des chrétiens; il vient intercéder près de vous en faveur de ses enfans, les habitans de Ravenne. » Ce mot d’enfans choque Attila, qui ne comprend pas : « Vous vous moquez de moi, s’écrie-t-il avec colère; mais rappelez-vous que j’ai une épée bien affilée, et malheur à qui se rirait du roi! Tâchez donc de m’expliquer, vous qui le savez si bien, comment un seul homme peut engendrer tant d’enfans! » Le malencontreux conseiller explique comme il peut la distinction qu’on doit faire entre les enfans de la nature et ceux de la grâce : Attila se montre satisfait. Sur ces entrefaites, l’évêque arrive; le cœur du roi, déjà préparé, s’amollit à sa vue, et Jean obtient sans peine ce qu’il était venu solliciter. Pourtant Attila, qui connaît les Italiens, craint qu’ils ne mésusent de sa clémence, et il prend à ce sujet ses précautions avec une bonhomie charmante : « Tes citoyens, dit-il à l’évêque, sont terriblement rusés; je ne me soucie pas qu’ils viennent dire : Nous l’avons joué et chassé; je ne veux pas davantage qu’on suppose dans les villes voisines que j’ai eu peur de vous, cela me ferait tort, ainsi qu’à mon armée (nous citons toujours Agnellus). Pour parer à cela, voici ce que j’exige : rentrez en toute hâte, enlevez vos portes des gonds, couchez-les à terre, et, quand il ne restera de votre enceinte que les quatre murs, j’entrerai, et traverserai votre ville : je vous promets de n’y faire aucun mal. » Le lendemain, Ravenne était en habits de fête; les rues tendues de tapis, les places parées de fleurs et encombrées de curieux annonçaient l’allégresse publique, et l’archevêque, en tête de son clergé, présidait au défilé des Huns. C’est ainsi qu’au bout de quatre siècles à peine, l’Italie se rappelait sa propre histoire. Les pages d’Agnellus se terminent par une réflexion qui a bien aussi son mérite : « On a dit parmi les proverbes, écrit-il, que le roi Attila, avant de recourir aux armes, combattait par l’artifice, et après cela il est mort sous le couteau d’une misérable femme. » Ce regret donné au fléau de Dieu n’est pas ce qu’il y a de moins étrange dans tout ceci.

Et pourtant c’est encore Agnellus qui nous donne la version la moins déraisonnable du prétendu siège de Ravenne, que nous retrouvons: ailleurs avec deux variantes d’une invention presque incroyable. Disons d’abord, pour l’éclaircissement de ce qui va suivre, qu’un schisme ardent divisa pendant toute la durée de l’exarchat les